Thorn le prédateur
opulentes grâce à un négoce à
grande échelle : celles qui avaient compté des negotiatores, important
ou exportant des biens en vastes quantités. Même si elles pratiquaient cette
activité depuis plusieurs générations et avaient pu se faire bâtir de
véritables palaces en guise de résidence, les simples familles marchandes dont
l’activité se limitait à tenir des boutiques, des entrepôts ou des étals de
marché n’étaient pas dignes de se mélanger avec leurs supérieurs. La classe de
citoyens la plus méprisable, enfin, était celle des travailleurs manuels :
les forgerons, artisans et laboureurs, bien sûr, mais également les orfèvres,
peintres (même doués), les mosaïstes et autres sculpteurs, tous dépassaient à
peine la considération accordée au paysan qui trime dans la glèbe.
Je n’ai pas dit que la fortune était en soi méprisée, ni
même destinée à être cachée. Bien au contraire, celui qui possédait la
distinction, la dignité et le statut nécessaires pour être accepté dans les
cercles élevés se devait en même temps de posséder l’argent nécessaire pour
assurer un train de vie en rapport. De tous les nouveaux venus agréés dans
cette caste très fermée, les mieux accueillis étaient ceux, hommes ou femmes,
qui alliaient à leur élégance naturelle la richesse, le statut de célibataire
et l’absence d’enfants. L’individu en question pouvait en effet être demandé en
mariage, sa fortune venant alors s’ajouter à celle de la prétendante ou du
célibataire qui l’épouserait. Si son âge avancé ne permettait plus qu’on
l’épouse, et qu’il était sans héritiers, il y avait toujours l’espoir qu’un enfant
de patricien, devenu son fils ou sa fille adoptive, hérite de sa fortune.
Les familles les plus aisées de Vindobona ne répugnaient pas
à faire état de leur puissance. Beaucoup d’entre elles vivaient dans de
somptueuses villas romaines où, jusqu’aux parterres qui les entouraient, tout
était adapté au goût des propriétaires. En plus des jardins, des tonnelles et
des retraites ombragées, les buissons et les haies étaient sculptés en forme de
divinités, d’animaux, et d’urnes, entre autres. Des statues les parsemaient,
représentant des dieux, ou le plus souvent d’illustres ancêtres de la famille.
Celles-ci étaient de bronze ou de marbre, mais on aurait pu les sculpter dans
le bois le plus ordinaire, car leur onéreux matériau était couvert de feuilles
d’or encore plus coûteuses. L’intérieur de ces demeures éblouissait de
mosaïques et de peintures murales ; de nombreux meubles étaient taillés
dans un ivoire aux tons chauds ou un bois de thuya aux senteurs délicieuses.
Quant aux sols, ils étaient garnis de marqueterie entrelaçant des motifs
géométriques.
Plusieurs de ces villas avaient installé bien en évidence,
souvent sur une éminence où leurs fiers propriétaires pouvaient ostensiblement
venir les consulter à loisir, des clepsydres égyptiennes. Ces machines indiquaient
les heures de la journée – celle du prandium, du repos de la sexta ,
de la cena et toutes les autres – et même celles de la nuit,
puisqu’elles ne dépendent pas du soleil, mais de la circulation interne de
l’eau régulée par une valve.
Le gratin de Vindobona aimait se donner en spectacle tant en
public, parmi les petites gens, qu’en privé. Les hommes comme les femmes
paradaient alors avec délectation, vêtus d’habits aux galons teintés de pourpre
de Djerba, de vert Janus ou toute autre couleur en rapport avec leur rang. Il
arrivait fréquemment qu’ils laissent « accidentellement » leur
manteau ouvert afin que l’on vît bien au-dessous leurs chemises, leurs chausses
ou leurs sous-vêtements d’une soie brillante. Dans les rares occasions qu’avait
une patricienne de se promener en public, elle portait au-dessus de sa tête une
ombrelle dorée, à moins qu’un serviteur ne la lui tînt à bout de bras, afin de
protéger son teint délicat du soleil, de la pluie, du vent ou de la neige. Le
plus souvent, du reste, une telle femme se déplaçait en chaise à porteurs si
elle souhaitait être vue, ou en char à rideaux à la liburnienne si elle
souhaitait rester incognito. Si elle avait un long voyage à accomplir, elle
circulait dans une lourde et douillette charrette à quatre roues, fermée et
tirée par des chevaux, appelée carruca dormitoria. Elle pouvait s’y
allonger et y dormir confortablement
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