Thorn le prédateur
même l’illustre
Thornareikhs n’était pas assez riche pour se permettre une telle extravagance.
Je ne le dis pas au sartor, bien sûr ; je me contentai de grommeler
quelque chose au sujet de l’apparence un peu trop fragile de cette soie pour le
genre de vêtements que je comptais m’offrir.
— Fragile ?! Mais, illustrissimus, une
tunique de soie vaut une armure !
Je lui lançai un regard noir, il se tint coi, et j’achetai
des tissus moins coûteux, non sans avoir longuement délibéré et amèrement
déploré leur piètre qualité. Je choisis aussi différents modèles de tuniques,
de sous-vêtements et de pantalons, un manteau d’hiver et même une toge romaine
dont j’aurais forcément besoin, insista le sartor, en quelque grande
occasion.
Un autre jour vint un sutor [98] , lui aussi muni de différents
modèles et échantillons de feutre et de cuir taillé dans des peaux de toutes
sortes, du doux chevreuil au tapageur crocodile, et je le chargeai de me
fabriquer plusieurs paires de sandales d’intérieur, de chaussures de ville
bouclées à la mode scythe, et en guise de chapeau d’hiver, un pétase à larges
bords.
Puis arriva un unguentarius [99] transportant
un coffret rempli de fioles, qu’il ouvrit les unes après les autres pour me
laisser humer les parfums qu’elles contenaient.
— Celle-ci, illustrissimus, contient de
l’essence de fleurs des plaines d’Enna, en Trinacria, où même les chiens sont
contrariés dans leurs chasses par les arômes de ces floraisons parfumées. Quant
à celle-ci, c’est de la pure Attar, importée de la Vallée des Roses en Dacie
Intérieure, où les habitants ne laissent pousser que cette fleur, de peur de
troubler la qualité de sa fragrance. J’ai aussi cette autre essence de roses,
bien plus modique car elle provient de Paestum, où se produisent deux
floraisons par an…
Par souci d’économie, et aussi parce que je ne sentais
aucune différence notable entre ces deux parfums de rose, j’optai pour le moins
cher.
Un autre jour encore – un autre soir, devrais-je
dire – vint un aurifex qui me montra des bagues, broches, bracelets
et fibules tous prêts à être portés, plus un grand nombre de pierres précieuses
non montées qu’il se faisait fort de mettre en valeur sur le bijou qui me
conviendrait. Il me présenta des diamants, des rubis, des saphirs, des
émeraudes, du verre coloré, des béryls, des jacinthes, d’autres encore, quelques-uns
nus, d’autres montés sur or ou sur argent.
— Si vous tenez à épargner un peu votre fortune, illustrissimus, voici plusieurs pierres montées sur un métal appelé l’ aes de
Corinthe, un alliage mêlé de cuivre et de petites quantités d’or et d’argent,
lesquelles lui donnent un éclat bien plus enflammé et brillant que le cuivre
ordinaire. Il tient son nom, peut-être le saviez-vous, illustrissimus, du
fait qu’on l’a inventé, ou bien tout simplement découvert, au moment où, il y a
fort longtemps, les Romains ont incendié Corinthe, et que tous les métaux
précieux ont fondu ensemble.
Toujours économe, je choisis parmi les marchandises de l’ aurifex deux fibules de cet alliage, ornées de grenats almandins d’un pourpre
profond. Tout bien considéré, je ne fus jamais outrageusement prodigue dans mes
achats, et les articles que je choisis d’acquérir n’avaient rien de flamboyant.
À titre d’exemple, lorsque le tailleur revint avec les vêtements que je lui
avais commandés encore grossièrement cousus afin de voir si leur taille
convenait, il me dit, au moment où nous commencions l’essai :
— Je n’ai bien entendu pas encore envisagé les couleurs
à y adjoindre, ni pour les ourlets de vos tuniques ou celui de votre toge, ni
pour les pans de votre manteau. Je vous ai toujours considéré comme un illustrissimus, et n’ai jamais été démenti ; cependant, je ne suis pas certain qu’il
s’agit de votre rang – auquel cas vous choisiriez bien sûr du vert –
ou si vous avez en fait le statut de patricius, qui mérite plutôt des
ornements pourpres. Pas plus que vous ne m’avez dit si vous souhaitiez que vos
ourlets et vos pans de manteau soient juste teints, ou ornés de motifs.
— Rien du tout, fis-je. (Je lui étais reconnaissant
qu’il m’ait, au fil de son babillage, parfaitement éclairé sur ce que
j’ignorais.) Ni couleurs, ni motifs. Je préfère porter mes vêtements dans leur
matière d’origine, sans ornements et avec
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