Thorn le prédateur
ordres.
— Alors un bon conseil : donnez celui-ci, custos Ansila. Ainsi, vous et le faber pourrez y travailler durant la nuit,
avant même que Théodoric vous le demande demain matin. Car je vous assure qu’il
va vous le demander.
*
— Des grains d’avoine ? s’exclama Théodoric incrédule,
quand je l’abordai le lendemain matin, alors qu’il achevait de s’habiller. Tu
espères abattre la porte d’entrée avec des grains d’avoine ? Aurais-tu
l’esprit dérangé par la faim, Thorn ?
— Je ne garantis pas que ça marchera, admis-je. Mais
j’ai déjà vu un tel stratagème réussir de façon quasiment magique à plus petite
échelle.
— Réussir à quoi ?
Il examinait l’objet que je venais de lui apporter, l’un de
ceux qu’Ansila et le faber avaient fabriqués durant la nuit. Dans sa
forme finale, fait de fines plaques de fer, il ressemblait moins à une cosse de
haricot que sur mon dessin, et n’avait bien sûr rien d’une trompette. On aurait
plutôt dit une épaisse lame d’épée à un seul tranchant, équarrie aux deux
bouts. Et l’objet n’était pas totalement achevé, car j’avais demandé au faber de laisser ouverte l’une des extrémités.
— Par cette ouverture, expliquai-je, nous verserons des
grains d’avoine, autant qu’il en pourra rentrer. Puis nous remplirons le tout
d’eau. Le faber se dépêchera alors de souder au-dessus un capuchon de
métal, bien étanche. Aidé d’autres hommes, nous emmènerons ces engins vers la
porte blindée, aussi vite que nous le pourrons. Nous tâcherons d’en encastrer
autant que nous le pourrons à l’intérieur des fissures du portail, un peu partout.
Nous les enfoncerons en force tels des coins, au marteau, pour les assujettir
le plus fermement possible à la masse de la porte.
Je fis une pause pour reprendre mon souffle. Théodoric me
regardait d’un air méditatif, dissimulant mal un petit sourire rentré.
— Et ensuite ? demanda-t-il.
— Ensuite, nous ferons retraite, et nous attendrons.
Confinés comme ils le seront, les grains d’avoine devraient faire exploser leur
contenant avec une force terrible. Pas assez peut-être pour démolir la porte
dans son ensemble. Mais assez, je l’espère, pour déformer les panneaux jusqu’à
ce qu’ils brisent les barres de bois placées juste derrière. Et suffisamment,
le ciel aidant, pour rendre toute la structure vulnérable à un assaut au
bélier… un tronc d’arbre manié par vos hommes les plus musclés pourrait alors
suffire.
Me dévisageant toujours d’un air calculateur, Théodoric
fit :
— Je ne dispose pas du plan des fortifications de
Singidunum, mais je sais que sa muraille est incroyablement épaisse. Un second
portail tout aussi solide se dresse donc probablement sous la partie intérieure
de l’arche.
— Nous devrons à ce moment-là renouveler l’opération.
Les défenseurs n’ont aucun moyen de nous en empêcher. Cela dit, si nous
parvenons à entrer dans la cité, restera à régler le problème du nombre. Nous
sommes six mille, et eux neuf mille.
Théodoric balaya l’objection du geste.
— Tu es parvenu toi-même à mettre en fuite trois
guerriers sarmates en armure de combat. Si chacun de mes hommes expérimentés
parvenait ne serait-ce qu’à égaler ta prouesse, ce sont dix-huit mille hommes
que nous pourrions défier tranquillement.
— Si nous réussissons à entrer, ajoutai-je. Mais nous
ne risquons rien à tenter le moyen que je propose. Personnellement, j’aime
autant employer les grains d’avoine à cette fin plutôt que de les absorber
réduits en bouillie.
— Là-dessus, je te rejoins, pouffa Théodoric en hochant
la tête. Bien sûr, que je vais mettre ton plan à l’essai. En doutais-tu ?
Je vais tout de suite faire abattre un tronc par mes hommes pour fabriquer le
bélier. Pendant ce temps, cours demander à Ansila des auxiliaires pour l’aider
à fabriquer ces… je ne sais trop comment qualifier ce genre d’instruments.
Qu’il libère le faber pour le laisser achever ton équipement. Si cet
habile stratagème porte ses fruits, tu voudras être un des premiers à entrer.
Et pour cela, il te faut un casque, un corselet et un bouclier. Habái ita
swe !
Ce fut le premier ordre direct que me donna le roi Théodoric
en tant que commandant d’armée, mais je devais l’entendre de nombreuses fois
par la suite clore ses demandes de cette phrase impérieuse, que je vis écrite
au bas de chacun
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