Thorn le prédateur
achevé.
Même durant la petite portion de bataille qu’il est en train
de vivre, il se peut qu’il accorde plus d’importance à des détails
insignifiants qu’à l’action dans laquelle il se trouve engagé. Un guerrier
entraîné et expérimenté peut fort bien dégainer son épée et embrocher un
ennemi, tout en prêtant attention à des broutilles incroyablement futiles.
Étant moi-même suffisamment aguerri au maniement de l’épée, je me préoccupais
de tout autre chose que de la façon dont je m’en servais, surtout conscient de
ce qui m’environnait.
La sueur coulant de ma visière et troublant ma vision… l’irritation
du frottement sur les rougeurs nées sous mes bras, d’avoir gardé si longtemps
mon armure… la poussière de la rue soulevée par les pieds des innombrables
combattants, qui me bouchait le nez et me piquait les yeux… la sensation de
chaleur et de lourdeur de mes pieds, enflés par cet interminable confinement
dans mes bottes… l’envahissant tumulte de cris, de grognements, de jurons et de
hurlements… l’assourdissant tintement des coups d’épée frappant les casques,
les armures et les boucliers, dont la commotion vous ébranlait aussi fort que
si quelqu’un frappait à toute volée vos oreilles de ses mains en coupelle…
l’écœurante odeur douceâtre du sang répandu, la puanteur des excréments se
vidant des boyaux des mourants, et l’âcre odeur de la peur, omniprésente…
*
Les flèches décroissaient en nombre à mesure que nous
progressions, au pas de course et à quatre de front, nos boucliers relevés
au-dessus de nos têtes. Nous dûmes nous frayer un chemin parmi de nombreux
corps, certains déjà inertes, d’autres se mouvant encore faiblement, sur le
pavé de l’esplanade menant au passage ravagé de l’arche de l’entrée. Une fois
dans la ville, notre turma se fondit dans la masse, et ce fut désormais
chacun pour soi.
Tandis nous nous répandions à travers la cité, nous ne
rencontrâmes pas vraiment de résistance organisée. S’il y avait eu là, à
l’origine, une lourde phalange solidement armée pour repousser notre invasion,
Théodoric et ses lanciers l’avaient bel et bien balayée. Et ses archers
n’avaient eu aucun mal à décimer les Sarmates perchés sur cette partie de la
muraille, ceux-ci étant postés sur un simple rayonnage de planches sans
protection vers l’arrière. La plupart des corps gisaient aux alentours de
l’entrée et au pied des murs, et je vis parmi eux deux fois plus de Sarmates
que d’Ostrogoths.
Comme les autres soldats de mon escadron, je parcourus le
dédale des rues de la cité, en quête de confrontation avec l’ennemi. J’avais
décidé pour cela de suivre notre optio, Daila, estimant qu’il était le
mieux placé pour mener l’action là où nécessaire… et le meilleur à garder à ses
côtés si je devais me lancer dans la bagarre. Nous dépassâmes un grand nombre
de soldats en train de se battre au corps à corps, de groupes emmêlés ou de
masses d’hommes aux prises, mais les Ostrogoths impliqués dans ces combats
étant clairement en position de se débrouiller seuls, nous n’interférâmes
point. Des habitants de la cité, nous pûmes à peine capter de temps à autre la
face terrifiée d’un homme ou d’une femme, guettant avec appréhension de
derrière un volet, par la fissure d’une porte ou du sommet d’un toit.
Enfin, sur une place de la ville, Daila se fraya un passage
à coups de coude à l’intérieur d’un groupe de combattants, et je décidai de le
suivre. Six ou sept Ostrogoths se trouvaient aux prises avec un nombre
équivalent de Sarmates, rangés en un anneau protecteur autour d’un homme.
Celui-ci était âgé, sans armes, à l’évidence terrifié, et au vu des
circonstances présentes, très étrangement vêtu, puisqu’il portait une riche
toge verte ourlée d’or. Sa voix, si perçante qu’elle en dominait le tumulte des
armes, implorait la pitié dans plusieurs langues :
— Clementia ! Eleéo ! Armahaírtei !
Dès que l’ optio et moi-même nous fûmes joints à
l’échauffourée, les Sarmates se trouvèrent vite submergés. Mais je dois à la
vérité de confesser que je n’accomplis nul exploit individuel au cours de cette
petite victoire. Tout en délivrant plusieurs coups bien sentis de mon gladius, je me rendis compte qu’il n’entamait qu’à peine l’armure d’écailles des Sarmates.
L’épée au serpent torsadé
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