Thorn le prédateur
tenter de se relever
ou de me sauter dessus, essayant juste de fuir sa douleur, qui devait être
insupportable.
Lentement, toujours embrumé, je me remis sur pieds et restai
un instant debout, réprimant la nausée en attendant que ma tête cessât de
tourner. Puis je marchai sur l’homme, et m’agenouillai sur sa poitrine pour
comprimer ses entrechats. Ne pouvant percer son armure, je pliai sa tête en
arrière pour dénuder sa gorge et, aussi miséricordieusement que je le pus, je
lui sciai le cou jusqu’à ce que mon épée rencontrât les os de sa colonne
vertébrale.
Ce fut la seule action au corps à corps à laquelle je
participai au cours de la bataille de Singidunum, et je m’en sortis sans même
une petite cicatrice en guise de souvenir. Je me trouvais bel et bien
barbouillé de sang, mais de sang sarmate seulement. Ce guerrier, tout comme
Daila, m’avait cru empalé par la flèche qui m’avait traversé. Mais je remerciai
Mars, Ares, Tyr et tous les autres dieux de la Guerre existants d’avoir été,
pour l’occasion, comme « une noisette dans une coquille de noix ». La
flèche avait en effet tout simplement traversé mon corselet trop ample, et
glissé le long de ma cage thoracique sans me faire une égratignure.
À force de contorsions, je réussis à attraper la partie en
saillie et à l’arracher de mon dos. Je marchai alors sur le légat, qui s’éloigna
avec crainte de mon épée sanglante en criant :
— Armahaírtei ! Clementia !
— Akh, slaváith ! crachai-je d’un air
mauvais, et il se tint coi pendant que j’essuyais mon glaive sur l’ourlet à
galon doré de sa fine toge.
J’attrapai Camundus sous les bras et le traînai à l’écart de
cette scène de carnage jusqu’à l’abri d’un porche situé de l’autre côté de la
place. Ses jambes incisées laissèrent sur le pavé deux longues traînées de
sang.
Nous demeurâmes stationnés là le restant de la journée,
durant lequel des groupes de guerriers – des Sarmates poursuivis par des
Ostrogoths, ou l’inverse – martelaient de leur pas le pavé de la place, ou
s’y arrêtaient pour se retourner et y livrer combat. Vers le milieu de
l’après-midi, les poursuites cessèrent, car tous les soldats qui passaient
étaient désormais des Ostrogoths, occupés à réduire les dernières poches de
résistance de la ville. La plupart traquaient le moindre Sarmate embusqué, ou
s’assuraient que tous ceux qui gisaient sur le sol étaient bien morts. D’autres
recherchaient et transportaient ou aidaient à se mouvoir ceux de nos blessés
que l’on pouvait encore sauver, les emmenant jusqu’au lekeis, occupé
comme on l’imagine. J’appris par la suite que nos combattants avaient passé au
peigne fin chaque bâtiment de Singidunum, chaque pièce, visitant de fond en
comble les toilettes, mais ils n’avaient trouvé que très peu de Sarmates
lâchement dissimulés dans un recoin ou un autre ; presque tous avaient
fait face avec courage et combattu jusqu’à la mort.
Pas loin du coucher du soleil, deux hommes s’approchèrent
d’un pas tranquille vers l’endroit où Camundus et moi attendions assis sous le
porche. Ils avaient une armure tout éraflée et ensanglantée, mais ne portaient
pas de casque, même si l’un d’eux semblait transporter le sien, ou quelque
chose qui lui ressemblait, dans un sac de cuir. C’étaient Théodoric et Daila. L ’optio amenait le roi jusqu’à l’endroit où Camundus avait été laissé vivant, et
voulait à l’évidence lui montrer en même temps le corps de son ami Thorn, car
tous deux poussèrent des exclamations de surprise en me retrouvant sain et
sauf, occupé à remplir jusqu’au bout ma tâche de gardien de Camundus.
— J’aurais dû me douter que Daila se trompait !
fit Théodoric soulagé, me tapant sur l’épaule au lieu de me retourner mon
salut. Le Thorn capable de jouer si effrontément au clarissimus pouvait
tout aussi facilement incarner un très convaincant cadavre.
— Par le marteau de Thor, petit scarabée, dit Daila
avec un humour un peu lourd, tu as tout intérêt à garder cette armure trop
grande, n’est-ce pas ? D’ailleurs, nous devrions peut-être tous en porter
une pareille.
— Il aurait été dommage, poursuivit Théodoric, que tu
sois tué avant de nous voir achever la conquête de la ville, vu la part
déterminante que tu as prise à son invasion. Je suis heureux de t’annoncer que
les neuf mille Sarmates ont
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