Thorn le prédateur
craindre.
— Ils en attendent cependant forcément des
informations, objectai-je. Ce n’était un secret pour personne que la ville et
leur roi se trouvaient assiégés.
— C’est vrai. Aussi ai-je déjà posté des sentinelles
pour empêcher tout traître ou citoyen désabusé de se glisser jusqu’au Danuvius
pour divulguer la nouvelle. Je vais mettre en garnison dans la ville la moitié
de mes troupes pour veiller sur les blessés et reconstruire les portes. Pendant
qu’ils s’y emploieront, j’arpenterai la campagne avec des patrouilles, comme
avant, afin d’intercepter tout Sarmate qui rôderait par ici, et m’arrangerai
pour qu’aucun ne puisse en réchapper et ainsi répandre la nouvelle de la chute
de Singidunum. J’ai aussi envoyé au galop des messagers vers le sud-est, à la
rencontre de mes convois de marchandises. Ils devront faire en sorte de hâter
leur marche, et demanderont des renforts supplémentaires.
— À quel poste as-tu décidé de m’employer ?
demandai-je. Comme sentinelle ? En garnison ? Comme messager ?
Dans une patrouille ?
Il me considéra d’un regard amusé.
— Tu as soif de continuer à te battre, hein ? Tu
te considères toujours comme un simple soldat, c’est bien cela ?
— Comment cela, un simple soldat ? protestai-je.
C’est pour devenir soldat que j’ai traversé la moitié de l’Europe. C’est à
cette fonction que je me suis patiemment préparé, et entraîné. N’est-ce pas
aussi à cela que tu m’as convié et même invité, à Vindobona ? Un combattant,
oui, de la tribu des Ostrogoths. Qu’es-tu donc toi-même, si ce n’est un
guerrier ?
— Ma foi, je suis aussi celui qui les commande. Et le
roi de bien d’autres personnes encore. Je dois utiliser au mieux ces forces
afin de servir les intérêts de mon peuple.
— C’est précisément ce que je te demande. De m’assigner
un rôle qui aille dans ce sens.
— Iésus, Thorn ! Je te l’ai dit il y a
longtemps déjà… ne sois pas humble. Si tu veux jouer au modeste, je te
traiterai comme le premier tetzte venu me solliciter. Je ferai de toi un
garçon de cuisine dans une arrière-tente, loin de toute action et de tout rêve
de combat.
— Gudisks Himins, tout mais pas cela ! me
récriai-je, bien conscient qu’il plaisantait. C’est le premier emploi que j’ai
occupé naguère. J’espère bien que mon destin me mènera un peu plus haut.
— Vái, n’importe quel paysan sorti de sa ferme
est capable d’apprendre à utiliser une épée, une lance ou un arc. Pourvu qu’il
ait quelque intelligence et un peu d’habileté, il pourra grimper ensuite en
grade et passer décurion, signifer, optio, que sais-je encore !
— Très bien, fis-je. Alors je ne serai ni humble ni
modeste. Je n’ai rien contre le fait de monter en grade, le cas échéant. Je
l’admets.
— Balgs-daddja ! fit-il, impatienté. Tu
possèdes bien plus que l’intelligence et l’habileté. Tu fais preuve
d’imagination et d’esprit d’initiative. J’ai ri quand je t’ai vu attacher une
corde autour de ton cheval, et cette invention s’est révélée fructueuse. J’ai
souri à l’évocation de tes « trompettes de Jéricho » remplies de
grains d’avoine, or elles ont amplement prouvé leur efficacité. Je t’ai laissé
participer comme simple homme du rang à la prise de la ville, juste pour te
faire goûter au combat au corps à corps que tu souhaitais connaître. Tu t’en es
bien sorti, comme du reste, et je suis heureux que tu aies survécu. Pourquoi
voudrais-tu à présent que j’aille risquer la peau d’un homme aussi valable que
toi, comme n’importe quelle recrue inexpérimentée ?
J’ouvris les mains en signe d’impuissance.
— Je n’ai plus d’inventions à t’offrir. Fais de moi ce
que tu voudras.
Il dit alors, comme s’il parlait pour lui-même :
— Un historien a jadis remarqué que le général
macédonien Parménion avait remporté de nombreuses victoires sans Alexandre le
Grand, tandis que ce dernier n’en avait pas gagné une seule sans lui.
Puis, s’adressant directement à moi :
— Je n’ai pour l’instant qu’un seul maréchal, le Saio Soas, qui occupait déjà ce poste durant le règne de mon père. J’aimerais faire
de toi mon second maréchal.
— Théodoric… je ne sais même pas quel est le rôle d’un
maréchal !
— Naguère, il était le marah-skalks du roi, et
son nom même désignait sa fonction : il
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