Thorn le prédateur
en
découvrant le bol réflecteur d’une couverture de cuir, afin d’envoyer un
message qui pourra être compris par les sentinelles des collines environnantes.
Celles-ci allument à leur tour des fanaux qu’ils font clignoter de la même
manière, répétant le message à l’envi, et le propageant de loin en loin. Cela
permet ainsi de demander le secours d’une armée, ou au contraire d’en dissuader
une autre d’arriver, selon la nécessité requise. En même temps, les sentinelles
peuvent prévenir la ville de l’approche d’un ennemi, ou de toute autre nouvelle
importante venue de l’extérieur.
L’autre nouveauté que je découvris n’était pas visible du
tout, pour la bonne raison qu’il s’agissait d’une odeur… en l’occurrence, une
puanteur si insoutenable que j’en chancelai sur ma selle. Je toussai, eus des
haut-le-cœur et mes yeux se mirent à couler, mais je pus constater à travers
mes larmes que les autres voyageurs présents sur la route ne semblaient pas
trouver cela si terrible. Toutefois, tous ceux dont les deux mains n’étaient
pas occupées ou encombrées opéraient, simultanément ou alternativement, un
mouvement pour se pincer le nez, et un signe de croix sur le front.
— Gudisks Himins ! m’exclamai-je en
direction de Daila. Ces miasmes vous rendraient un homme normal aussi lugubre
qu’un Slovène. Appelez ce soldat qui connaît si bien Constantinople, et
demandons-lui si la ville exhale toujours cette odeur putride.
— Ja, Saio Thorn, répliqua le soldat avec une
certaine gaieté, bien qu’il eut lui aussi le nez pincé. Ce que vous respirez
est l’odeur de la sainteté, et Constantinople est fière de saluer les nouveaux
arrivants. Il faut dire que cet arôme attire ici de nombreux pèlerins.
— Mais au nom du dieu qu’ils révèrent, quel qu’il soit, pourquoi ?
— Ils viennent ici adorer Daniel le Stylite. Regardez
là-bas.
Il pointait du doigt un endroit situé dans les champs à
gauche de la route. De là où je me trouvais, je pus distinguer ce qui
ressemblait à une haute perche surmontée, à son sommet, d’un nid de cigognes de
bien piètre apparence et fort délabré. Au sol se trouvait rassemblé un groupe
de personnes, certaines en mouvement, mais la plupart agenouillées.
Le soldat expliqua :
— Cet homme, Daniel, se conduit ainsi en hommage à
Siméon de Syrie, devenu saint Siméon, qui passa trente années de sa vie perché
en haut d’une colonne. Daniel vit pour sa part en ermite sur son pilier depuis
quinze ans déjà, mais il paraît que l’exemple de la misère que s’inflige cet
homme a déjà contribué à la conversion de nombreux païens.
— La conversion ? Mais à quoi ? grogna Daila.
Même les hommes changés en cochons par Circé ne supporteraient pas de
s’attarder dans les environs, tant les lieux sont nauséabonds.
— Ce sont des dévots chrétiens, fit le soldat en
haussant les épaules. Des gens qui trouvent du plaisir à l’avilissement et la
mortification, je suppose. Ils semblent éprouver une suprême félicité à
respirer le résultat de quinze années de déjections du saint accumulées sur le
sol.
— Je crois donc que nous allons le laisser en bonne
compagnie, fis-je. Et eux avec lui. Ils ont l’air de se mériter mutuellement.
Nous finîmes par laisser la puanteur derrière nous, et à
peine quelques heures après, les murs de Constantinople commencèrent à se
dessiner sur l’horizon devant nous. Je me retournai et dis à l’un de mes archers :
— La princesse avait très envie de découvrir la cité
dès qu’elle serait visible. Allez à sa carruca et dites-lui que c’est
imminent. Demandez-lui si elle souhaite que l’on selle sa mule.
Il revint me faire part de la réponse, un petit sourire aux
lèvres :
— La princesse remercie le maréchal de sa prévenance,
mais a décidé d’admirer la cité depuis sa carruca, dont elle a ouvert
les rideaux. Elle pense qu’il ne serait pas très convenable pour une fille et
sœur de roi d’entrer dans Constantinople à cheval, comme une femme barbare.
Cela ne ressemblait guère à l’esprit de liberté dégagée des
convenances dont avait toujours fait preuve Amalamena, qui se moquait
ouvertement des minauderies féminines et de tout ce qui pouvait y ressembler.
Il était évident qu’elle s’inventait là une excuse, afin de ne pas admettre
qu’elle se sentait trop faible pour tenir sur une selle. Cela me rappela
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