Thorn le prédateur
Isauriens, lesquels parlent un lourd et horrible
dialecte issu du grec. Son nom de naissance était Tarásikodissa Rusumbladeótes.
— Malheur ! fis-je. Je comprends… Merci de
l’explication.
Nous chevauchions toujours le long de la Mese, et autour de
moi, les nouveautés et merveilles abondaient. La large avenue était bordée
d’arbres et d’un nombre incalculable de statues, en bronze et en marbre, de
dieux, de héros, de sages ou de poètes, derrière lesquelles se succédaient des
demeures semblables à des palais de pierre ou de brique, bien que j’eusse
aperçu au fond des étroites rues latérales certaines résidences plus
plébéiennes. La Mese nous promena du sommet au creux des diverses collines de
la ville, et nous fit traverser la Porte d’Or de la muraille de Constantin,
plus petite et moins imposante. Après quoi l’avenue s’élargit par endroits
autour de nous, pour se transformer en une spacieuse place pavée de marbre. Ce
fut d’abord le forum de Boûs, qui ressemble à une gigantesque plateforme de
marbre suspendue entre les pentes de deux collines, d’où nous dominions une
petite rivière passant sous la place, le Lúkos, qui draine les eaux
usées de la ville. Ce fut ensuite le forum de Théodose, d’où l’on pouvait voir,
coulant cette fois-ci au-dessus de nos têtes, une rivière artificielle
portée d’une colline à l’autre par un aqueduc, suspendu avec grâce sur des
piliers élancés aux élégantes arches de pierre. Enfin, sur le forum de
Constantin, je découvris, juchée sur une colonne de marbre et de porphyre d’une
hauteur impressionnante, la statue la plus grandiose de la ville, à l’effigie
de son fondateur. Cette statue de bronze montre l’empereur portant un faisceau
de rayons dardés autour de sa tête, le figurant ainsi soit sous les traits d’un
Apollon nimbé d’une aura solaire, soit sous ceux de Jésus-Christ coiffé de sa
couronne d’épines ; c’est un sujet que les habitants d’aujourd’hui n’ont
toujours pas tranché.
Je conservai néanmoins avec détermination une indifférence
de façade, et poursuivis ma conversation avec le chambellan :
— Très bien… Donc, cet Empire d’Orient est désormais
gouverné par le basileus Zénon et la basilissa Ariane. Et pendant
ce temps-là, qu’est-il arrivé en Occident ?
— Comme je vous l’ai dit, Julius Nepos a été déposé.
Par un nommé Oreste, dont l’empereur avait fait un général d’armée. Nepos en a
donc été réduit à fuir vers Salona, en Illyrie.
— Attendez un instant. Salona, n’est-ce pas l’endroit
où… ?
— Naí, approuva Myros, hochant la tête d’un air
malicieux. Là où l’ancien empereur Glycérius avait été exilé après que Nepos
l’eût lui-même déposé… Ne me demandez pas pourquoi il est allé choisir
précisément cette destination pour refuge, mais il se trouve que c’est là qu’il
a trouvé la mort, lorsque le vindicatif Glycérius l’y a – sans
surprise – fait assassiner.
— Gudisks Himins !
— Et ce n’est pas tout… l’histoire est encore
plus juteuse que cela !
À voir l’engouement quasi féminin du chambellan pour les
commérages et les cancans, je réalisai soudain avec retardement qu’il devait
être eunuque.
Il poursuivit :
— En récompense de ce haut fait, Glycérius vient d’être
élevé du rang mineur d’évêque de Salona à celui, bien plus honorifique,
d’archevêque de Mediolanum [141] en Italie.
— Liufs Guth ! Un évêque devient régicide,
et l’Église le récompense par une promotion ?
Myros fit une grimace de profond dégoût.
— Ma foi, il s’agit là de l’Église catholique corrompue
de Rome. Le bon patriarche de Constantinople, Akakiós, n’aurait jamais permis
que de telles choses se produisent dans notre Église orthodoxe d’Orient.
— Je l’espère bien. Finalement, qui est empereur à
Rome ?
— Le fils de ce général Oreste. Romulus, affublé avec
dédain du surnom d’Augustule.
— Pourquoi avec dédain ?
— Ce n’est pas Auguste, mais juste « petit
Auguste ». Autant dire tout sauf auguste. Il n’est âgé que de quatorze
ans. C’est donc son père, comme dans le cas de Léon II, qui tient en
réalité les rênes du pouvoir. Nul ne pense, au vrai, que ce duo se maintiendra
bien longtemps.
Je soupirai et dis :
— Je me disais, comme beaucoup sans doute, que l’Empire
romain est plus pitoyable que jamais. Des
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