Thorn le prédateur
travers l’interminable succession de halls et de
corridors. Bientôt, nous arrivâmes à un endroit où se trouvaient exposés nos
cadeaux pour Zénon, disposés sur des tables tendues de pourpre… Mais tous ne
s’y trouvaient pas car j’avais pris soin de transporter moi-même l’un d’entre
eux, que j’avais refusé de confier au chambellan, contenu dans une boîte en
ébène sculptée de motifs compliqués. Celle-ci étant lourde et volumineuse,
Amalamena s’était chargée de transporter le rouleau de vélin scellé d’un cachet
de cire rédigé par Théodoric.
Imitant Myros à côté de nous, la princesse et moi marchions
lentement, en ménageant des pauses, à travers la salle du trône, et nous
finîmes par nous agenouiller devant le basileus Zénon. Son trône de
porphyre, tout tapissé de pourpre comme il se devait, était assez large pour
deux personnes, et Zénon était assis nettement sur la droite. Je connaissais la
raison de cette commodité en apparence inutile. Les jours de fêtes religieuses,
l’empereur prenait place sur la gauche du trône, une bible posée sur la partie
droite, afin d’indiquer qu’il représentait Dieu sur Terre, ou tout du moins
dans l’Empire d’Orient.
Zénon était un homme chauve entre deux âges, au corps trapu
encore aussi solide que celui d’un guerrier, et son teint avait la couleur et
la texture de la brique. Il ne portait pas la toge impériale, mais la chlamyde,
la tunique et même les bottes d’un soldat. Le contraste était donc important
avec les gardes qui se tenaient derrière son trône et autour de lui. La plupart
de ces derniers, d’une immobilité irréprochable, étaient en parfaits Grecs des
hommes élancés, sombres de peau, parfumés et impeccablement habillés. Pour rien
au monde ils n’auraient bougé, au risque de déranger l’agencement du drapé
presque sculptural de leurs robes. Un seul d’entre eux, celui qui se trouvait
le plus proche de Zénon, n’était de toute évidence pas grec, en dépit de sa
tenue tout aussi élégante. Aussi jeune et aussi clair de teint que moi, il
aurait été assez beau, s’il n’avait arboré l’expression atone et obtuse d’un
goujon, et un cou aussi inexistant que celui d’un poisson.
— Celui-ci doit être Recitach, le fils de Strabo, me
glissa silencieusement la princesse, tandis que nous faisions notre
génuflexion, la tête baissée.
Lorsque Zénon laissa échapper un grognement nous signifiant
de nous relever, je le saluai du titre respectueux de Sebastós, qui est l’équivalent
grec d’Auguste, et nous présentai, la princesse et moi, comme les ambassadeurs
de son « fils » Théodoric, roi des Ostrogoths. À cette précision, les
lèvres de goujon de Recitach – il ne pouvait s’agir que de lui, et il
devait comprendre un peu le grec – quittèrent leur immobilité de poisson
le temps d’un rictus de mépris. Un autre jeune homme, l’interprète Seuthes, se
pencha vers l’empereur pour lui répéter mot pour mot ce que je venais de lui
dire. Zénon le coupa d’un geste d’impatience, me gratifia d’un bref salut de la
tête, ne m’octroyant que le titre équivalent en grec à Caius, et ignora
délibérément la présence de la princesse.
— Kúrios Akantha, grogna-t-il. Il sied mal à un presbeutés, et c’est assez mal servir les intérêts de votre maître, que de vous inviter
devant cette cour de manière aussi rustre et discourtoise, bafouant de façon
éhontée toutes nos sacro-saintes traditions.
— Je n’avais pas l’intention de commettre un sacrilège, Sebastós, fis-je. Je tenais simplement à écourter les formalités afin
de…
— C’est ce que j’ai remarqué, interrompit-il. J’ai vu
la façon dont vous aviez traversé les jardins du palais.
Sa face de brique ne se fendit d’aucun sourire, mais je le
sentis inscrit en filigrane dans sa voix tandis qu’il poursuivait :
— C’est bien la première fois que je vois l’ oikonómos parcourir à pied une distance supérieure à celle qui sépare la table du koprón.
Ce mot voulant dire les toilettes, je vis le chambellan
renifler de façon plutôt embarrassée à mon côté. Cet humour m’incita à penser
que l’empereur était, somme toute, prêt à envisager ma demande d’audience
immédiate avec plus d’indulgence que de sévérité, et je déclarai :
— En toute sincérité, j’ai pensé que le basileus Zénon considérerait la lettre de mon roi comme d’une
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