Thorn le prédateur
puis
demandai :
— Est-ce pour la même raison que l’Église a placé la
naissance du Christ à la même date que celle du démon Mithra ?
Les sourcils de l’abbé se froncèrent.
— Je crains de t’avoir accordé un peu trop de liberté
dans le choix de tes lectures, mon garçon. Ta question est celle d’un païen enragé,
non celle d’un bon chrétien désireux de croire aux enseignements de l’Église.
Or, l’un de ceux-ci affirme : « S’il devait en être ainsi, cela
sera. S’il en est ainsi, c’est que cela devait être. »
Je murmurai humblement : « Je suis confus, Nonnus Clément. »
— Quoi que tu aies lu ou entendu sur Mithra,
ajouta-t-il plus gentiment, efface-le de ton esprit. Le culte de Mithra était
de toute façon voué à disparaître avant même que d’être supplanté par le
christianisme. Cette croyance n’aurait jamais pu survivre, parce qu’elle en
excluait les femmes. Or toute religion, si elle veut s’étendre et prospérer,
doit séduire avant tout les plus promptes à payer la dîme, les plus faciles à
influencer, les plus aisées à duper… je veux parler des femmes, bien entendu.
Toujours aussi contrit, j’opinai du menton, puis attendis un
moment avant de poursuivre :
— Un autre détail, Nonnus Clément.
L’avertissement que vous réitérez chaque dimanche, afin qu’on ne laisse point
manger le pain consacré par des non-catholiques. Parlez-vous là de chrétiens
regrettablement dévoyés, ou tout simplement animés d’une foi un peu
tiède ?
Il me jeta un regard long et pesant, comme s’il sondait les
profondeurs de mon âme, et me répondit finalement :
— Ces gens ne sont pas des chrétiens catholiques. Ce
sont des Ariens.
Il m’avait dit cela très calmement, mais je fus choqué
au-delà de toute expression. Rappelez-vous qu’on m’avait enseigné durant toute
ma jeunesse à haïr et à condamner l’arianisme des Goths. Et j’avais appris à
développer un mépris et une hostilité tenace, non pas tant à l’égard des Goths
eux-mêmes – dans la mesure où j’en étais probablement un – qu’envers
leur odieuse religion. Et voici que l’on m’informait brutalement que des Ariens
bien réels, des êtres de chair et de sang, vivaient à quelques stades [20] à peine de l’endroit où Dom Clément et moi étions en train de converser. Il se
rendit clairement compte de ma stupéfaction, car il poursuivit :
— Je pense, Thorn, que tu es désormais assez grand pour
le savoir. Les Burgondes, tout comme les Goths, sont pour l’essentiel convertis
à l’arianisme. Il en est ainsi des deux frères qui nous gouvernent comme
co-rois, Gondioc à Lyon et Chilpéric à Genève, des princes de leur famille, des
nobles membres de leur cour, ainsi que de la majorité de leurs sujets. Ici
même, dans notre Balsan Hrinkhen, j’estime qu’un bon quart des
villageois et des paysans de la vallée sont Ariens, et qu’un autre quart sont
encore des païens non régénérés. Parmi eux, la plupart de ceux qui cultivent
les terres de Saint-Damien, élèvent notre bétail, et versent à notre abbaye une
partie de leurs récoltes.
— Et vous les autorisez à être Ariens ? Vous
laissez des Ariens travailler côte à côte avec nos frères chrétiens ?
Dom Clément soupira.
— Le fait est que notre communauté monastique et notre
congrégation de chrétiens fervents constituent une sorte d’avant-poste en terre
étrangère. Nous n’existons en fait, que parce que les Ariens et autres païens
qui nous entourent tolèrent notre présence. Envisage tout cela sous l’angle de
la raison, Thorn. Les dirigeants de ce royaume sont tous deux ariens. Leurs
administrateurs, soldats et collecteurs d’impôts le sont également. À Lyon, en
plus de la basilique Saint-Just de notre évêque, il en existe une autre, bien
plus imposante, à la cathèdre de laquelle est assis un évêque arien.
— Parce qu’eux aussi ont des évêques ?
murmurai-je, abasourdi.
— Par bonheur pour nous, les Ariens n’ont jamais
surveillé avec une grande vigilance les divergences d’avec ce qu’ils
considèrent comme la vraie croyance, alors que nous sommes d’une grande
intransigeance envers ce que nous savons être la foi légitime. Ils ne sont pas
prêts non plus à faire montre, comme nous, d’un ardent prosélytisme, et ne
combattent que mollement les hérétiques. C’est uniquement grâce à l’indulgente
permissivité des Ariens quant
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