Thorn le prédateur
aux croyances des autres que nous pouvons, nous
les catholiques, vivre ici, y travailler et y répandre nos préceptes.
— J’ai du mal à réaliser tout cela d’un seul coup,
balbutiai-je. Des Ariens répandus partout autour de nous…
— Il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a encore
quarante ans de cela, les Burgondes étaient juste des païens, d’ignorantes
victimes de la superstition qui révéraient le pléthorique panthéon des dieux du
paganisme. Ils ont été convertis par des missionnaires ariens venus du pays
Ostrogoth, plus à l’est.
J’avais peut-être été foudroyé, mais ma curiosité habituelle
n’avait pas disparu pour autant.
— Excusez-moi, Nonnus Clément, m’enhardis-je. Si
les Ariens sont si nombreux aux alentours, et nous chrétiens si minoritaires,
est-il vaguement possible que le dieu des Ariens soit digne d’une quelconque
crédibilité… ?
— Akh, ne ! m’interrompit l’abbé, levant
les mains avec horreur. Pas un mot de plus, mon garçon ! Ne te mets jamais
à spéculer sur la légitimité des Ariens, de leurs croyances ou de quoi que ce
soit les concernant. Les conciles de notre Église les ont déclarés malfaisants,
c’est amplement suffisant.
— Serait-ce une faute de ma part, Nonnus, que de
vouloir en apprendre davantage sur mes ennemis, dans le but de mieux les
combattre ?
— Peut-être pas une faute, mon fils. Mais nul ne peut
bien agir si c’est le diable qui le pousse à le faire. Laissons donc là cet
odieux sujet. Allons, prends ta tablette.
Je me penchai docilement sur ma tâche d ’exceptor, mais
je n’étais pas pour autant disposé à abandonner aussi facilement cet
« odieux sujet » que Dom Clément avait si abruptement installé dans
mon esprit. Quand l’abbé me libéra, je me rendis à l’activité qui m’était
assignée ensuite ce même jour, le cours d’éthique de Frère Côme.
Mais avant même qu’il n’ait entamé ses arides lectures, je
lui demandai si cela ne le dérangeait point que nous soyons si peu de
chrétiens, noyés dans une population essentiellement arienne.
« Oh vái », dit-il d’un ton où perçait la
moquerie. Et il m’assena mon second choc de la journée.
— Avec toutes les lectures clandestines que tu
t’autorises, tu n’as pas encore réalisé que les Ariens étaient eux aussi des
chrétiens ?
— Des chrétiens ?! Eux ? Les Ariens ?
— C’est du moins ce qu’ils prétendent. Et ils l’étaient
véritablement, à l’origine, lorsque l’évêque arien Wulfila a converti les Goths
à…
— Le Wulfila qui a écrit la Bible en gotique ? Il
était Arien ?
— Ja, mais à l’époque, quand il a su détourner
les Goths de leurs vieilles croyances païennes germaniques, il n’y avait rien
de mal à cela. Ce n’est que plus tard que la doctrine arienne fut
officiellement condamnée comme une hérésie, et le catholicisme érigé en seule vérité
chrétienne.
Je dus quelque peu vaciller sur mes jambes, car Côme me jeta
alors un regard inquiet et m’invita gentiment à m’asseoir, ajoutant avec
sollicitude :
— Tu sembles un peu secoué par ces révélations, jeune
Thorn.
Et comme Frère Côme pouvait à bon droit se prévaloir de
brillantes connaissances en matière d’histoire ecclésiastique, il ne se fit pas
prier pour m’expliquer ce qui suit :
— Vers la fin du siècle dernier, la chrétienté se
trouvait déplorablement fragmentée par divers schismes en une bonne douzaine de
sectes disparates. Les disputes entre évêques étaient nombreuses et complexes,
mais pour simplifier, tout tournait plus ou moins autour de la controverse
entre les deux évêques les plus influents de l’époque, Arius et Athanase.
— Je sais déjà que les chrétiens… enfin, ceux que nous sommes, suivent les enseignements d’Athanase.
— C’est cela, en effet. L’affirmation de l’évêque
Athanase selon laquelle le Fils de Dieu, Jésus-Christ, est consubstantiel à
Dieu le Père. Arius prétendait quant à lui que le Fils est seulement semblable
au Père. Jésus ayant subi la tentation comme n’importe quel homme, connu des
souffrances proprement humaines et étant décédé comme les autres… il ne pouvait
être, selon lui, l’égal du Père immuable, lequel ne saurait être sujet à la
tentation ni aux souffrances, encore moins à la mort. Il devait donc avoir été
créé par le Père, comme tout homme.
— Ma foi…, fis-je hésitant,
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