Thorn le prédateur
la nôtre, Thorn, et pourquoi la nôtre finira
inévitablement par vaincre la leur.
*
Il pourrait sembler étrange, comme je le ressentis à
l’époque, que je fusse le seul de notre communauté catholique à oser
questionner, contester, voire remettre en cause les préceptes, les lois,
restrictions et autres croyances qui régissaient notre vie. Avec le recul, je
m’explique mieux la diabolique curiosité qui m’animait, et ma rébellion
naissante contre mon éducation. Je crois maintenant y déceler l’émergence de
l’aspect féminin de ma nature. J’ai pu constater au cours de ma vie que la
plupart des femmes, surtout si elles possèdent un minimum d’intelligence et
d’éducation, ressemblent assez à ce que j’ai pu être étant jeune :
sujettes à l’incertitude, enclines au doute, portées naturellement à la
suspicion.
J’aurais pu continuer ainsi, indéfiniment, à méditer sur les
livres et les manuscrits, questionnant ceux qui m’instruisaient tout en
observant avec attention mes semblables, afin de tenter d’éclaircir mes doutes
quant à cette religion supposée être un don de Dieu. J’aurais pu chercher à
donner un sens aux nombreuses incohérences que j’y avais relevées, sans me
cantonner aux apparences, mais en développant une appréhension plus personnelle
des faits. C’est hélas à cette époque que le libidineux Frère Pierre entreprit
d’user de moi comme d’une femelle esclave.
J’avais beau être fier du savoir que j’avais acquis, et dans
une certaine mesure de ma sagesse quant à la perception du monde, je fus
totalement pris de court par cette agression physique, que je ne pouvais
comprendre. Je savais, car Frère Pierre avait été clair à ce sujet, que ce que
nous faisions devait demeurer discret et insoupçonné. Je dus donc bien
réaliser, même si ce n’était que de manière inconsciente, ce que notre
comportement pouvait avoir de grossier, de répréhensible. Cependant, en dépit
même de cette indépendance et de l’esprit de contradiction qui me
caractérisaient, j’avais été éduqué dans un tel respect de l’autorité, qui
impose la soumission à l’être plus âgé ou de rang supérieur, que pas un seul
instant il ne me vint la pensée de repousser les avances de Pierre.
Je crois aussi que mon dégoût fut tel, dès le premier assaut
subi, que je ressentis une honte secrète à l’idée de m’en ouvrir à Dom Clément
ou à qui que ce soit d’autre, tant je craignais qu’ils ressentent à leur tour
la répulsion que m’avait inspirée cette souillure intime. De plus, Pierre
m’avait accusé de n’être qu’un imposteur parmi eux – ce qu’il avait
découvert entre mes jambes ne confirmait que trop clairement cette
assertion –, aussi avais-je intérêt à tenir compte de sa menace, lorsqu’il
affirmait que je risquais tout simplement la disgrâce et l’expulsion définitive
de Saint-Damien. Et c’est ce qui m’arriva lorsque finalement ce sordide
commerce fut effectivement découvert, mais il me fallut d’abord en passer par
la compassion à la fois attristée et inquisitrice de Dom Clément :
— Tout ceci, Thorn, mon fils… euh, ma fille, est pour
moi un cas fort difficile à trancher. Toute suspicion de péché à l’encontre
d’une femme, ou confession volontaire d’un péché commis par icelle, concerne en
principe Aethera, la supérieure de Sainte-Pélagie, ou l’une de ses diaconesses.
Mais je dois pourtant te le demander, et je te prie de me l’avouer en toute
confiance : étais-tu vierge, Thorn, avant que ne débute cette horrible
saleté ?
Bien qu’aussi rouge que lui sans doute, je tentai néanmoins
de répondre de manière cohérente :
— Eh bien c’est… cela m’est bien difficile de le dire, Nonnus Clément. Ce n’est qu’à l’instant que vous venez de vous adresser à moi comme à
une femme, et je suis si… bouleversé de réaliser que c’est effectivement ce que
je suis que… Écoutez, Frère Pierre me l’a bien affirmé lui aussi, mais je ne
pouvais le croire… Ne m’étant jamais considéré comme une femme, Nonnus Clément, comment aurais-je pu me poser la question de ma virginité ?
Dom Clément regarda dans le lointain, et me dit d’un air
atone :
— Alors fais-moi la grâce de nous simplifier les choses
à tous deux, Thorn. Confesse-moi que tu n’étais pas vierge.
— Si c’est ce que vous souhaitez, Nonnus… Mais
je suis incapable de savoir au juste
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