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Thorn le prédateur

Thorn le prédateur

Titel: Thorn le prédateur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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attentions de Frère
Pierre à mon égard ; aussi n’avais-je pas à me plaindre des conséquences
de mes actes. C’est là un sentiment typiquement féminin. Jamais un homme
n’irait spontanément s’accuser d’une telle faute.
    Et cependant, j’étais en même temps un homme. Et comme tout
mâle qui se respecte, je bouillais d’envie de ne pas laisser les choses en l’état,
d’en attribuer la responsabilité à quelqu’un d’autre, de veiller à ce que le
coupable fût proprement châtié. Ce contraste intérieur entre mes deux
composantes était déjà pour moi si complexe à gérer que je pouvais
difficilement espérer l’expliquer à autrui. Voilà pourquoi j’acceptai avec une
telle docilité mon humiliante expulsion du monastère Saint-Damien, où Frère
Pierre était pourtant autorisé à rester. C’est aussi la raison pour laquelle je
décidai de ne pas protester, bien décidé à en tirer une revanche personnelle.
Laissez-moi maintenant vous dévoiler un peu plus en détail mon séjour au
couvent Sainte-Pélagie la Pénitente.

 
6
    Ne nions pas les faits, apprendre que je n’étais pas le
garçon que j’avais cru être jusqu’alors, mais la plus vile des jeunes filles,
constituait à cet instant le pire choc de ma vie. C’était un bouleversement
intense que de me voir arraché aux confortables habitudes du monastère et de
ses environs, et d’être ainsi privé de la compagnie virile des moines pour
plonger dans ce que je pensais être la douce et vaine jacasserie de veuves et
de vierges ingénues, aussi limitées que peu instruites. Et pourtant, cette
perspective ne m’effrayait pas tant que cela.
    Il y avait à cela plusieurs raisons. J’avais été
passablement désorienté, perturbé, voire rebuté par divers événements vécus au
cours de la dernière année passée à Saint-Damien. D’abord, on m’avait révélé
qu’il existait aux environs des Ariens, et j’avais compris que ceux-ci
n’étaient pas des sous-hommes sauvages, mais de simples adeptes d’une branche
alternative du christianisme ; j’avais réalisé que le paganisme s’étendait
sur l’intégralité du territoire de la chrétienté ; enfin, choc ultime,
Frère Pierre avait abusé de moi. C’est donc presque avec soulagement que je
quittai le théâtre d’aussi étranges et désagréables découvertes.
    J’étais, il est vrai, un tout jeune homme, nanti de cet
optimisme, de cette capacité à oublier qui est le propre de la jeunesse. Après
avoir, et de façon intrépide, exploré les cavernes situées derrière les
cascades, capturé et apprivoisé un juika-bloth, puis assumé avec aisance
la tâche nouvelle pour moi d ’exceptor de l’abbé, j’envisageais désormais
ce bannissement à Sainte-Pélagie comme la promesse d’une aventure
supplémentaire.
    La découverte de mon nouveau sexe, puisque j’étais désormais
devenu une fille, augurait en outre d’intéressantes expériences.
    Loin de moi l’idée, cependant, d’imaginer autre chose que de
modestes découvertes. Je n’étais pas sans savoir que les femmes comme les
jeunes filles du couvent demeuraient soigneusement cloîtrées. Hormis les
dimanches et autres fêtes religieuses à l’occasion desquelles elles
traversaient la vallée pour venir assister à la messe et communier à la
chapelle de Saint-Damien, elles n’étaient pas autorisées à quitter leur
domaine. Que ce soient les paysans des environs qui leur fournissaient les
provisions de bouche et autres nécessités, ou les moines apportant de
Saint-Damien les outils, la bière ou les articles de cuir que les nonnes ne
pouvaient se fabriquer, personne ne franchissait la grille de la cour
principale du couvent.
    La discipline intérieure était tout aussi stricte. Toute
infraction à ces règles entraînait un châtiment drastique. Je réalisai bien
vite que l’esprit d’une pensionnaire du couvent n’avait guère plus le loisir de
vagabonder que son corps. Je ne me souviens plus de la première question que je
soulevai lors d’une séance de catéchisme de Mère Aethera, je suis juste
certaine qu’elle était totalement inoffensive, mais je n’ai pas oublié comment
elle me coursa en me souffletant à travers la moitié de la classe. En
permanence, environ une sur trois des jeunes filles dont je faisais partie
avait la joue boursouflée et du plus beau rouge, suite à une calotte
magistralement décochée par l’épais battoir de l’abbesse. Les plus âgées

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