Thorn le prédateur
si…
— S’il te plaît. Dis-le, simplement.
— Eh bien soit, Nonnus. Je n’étais pas vierge.
Il exhala un soupir d’intense soulagement.
— J’accepte ton aveu, Thorn. Car vois-tu, si tu l’avais
été, que tu avais sciemment laissé Pierre abuser de toi et que cela me soit
parvenu aux oreilles, j’aurais été contraint de te condamner à cent coups de
fouet de punition.
Je déglutis bruyamment, et acquiesçai en silence.
— Une autre question, à présent. As-tu éprouvé du
plaisir à commettre ce péché ?
— Là encore, Nonnus Clément… je ne sais trop que
vous répondre. Quel genre de plaisir peut-on prendre à ce genre de péché ?
Je serais bien en peine de vous dire, en réalité, si j’en ai ressenti ou pas.
L’abbé toussa et rougit encore un peu plus.
— Je ne suis pas à proprement parler intime avec le
péché de la chair, mais je tiens de source fiable que si tu l’avais
expérimenté, tu saurais à coup sûr reconnaître le plaisir. Son intensité est
une mesure tangible de la gravité du péché. Et plus irrépressible est l’envie
d’y céder à nouveau, plus certaine est l’influence du diable.
Pour la première fois de l’entretien, je lui répliquai d’une
voix ferme :
— C’est Frère Pierre qui a pris l’initiative de cet
acte, et lui encore qui a insisté pour le réitérer. Pour ma part, ajoutai-je,
tout ce que je connais du plaisir, Nonnus… c’est celui que je ressens
lorsque je vais me baigner aux cascades… ou que je regarde un aigle de combat
prendre son envol…
L’abbé m’enveloppa d’un regard encore plus troublé, se
pencha pour me dévisager avec une extrême attention, et me demanda :
— Aurais-tu par hasard vu des augures dans l’écoulement
de ces eaux ? Ou dans ces vols d’oiseaux ?
— Vous voulez dire des signes ? Non, je n’ai
jamais vu de présages dans quoi que ce soit, Nonnus Clément. Je n’ai d’ailleurs
jamais cherché à en voir.
— C’est une très bonne chose, dit-il, de nouveau
visiblement soulagé. Cette affaire est déjà suffisamment délicate. Aie à
présent la bonté, Thorn, de demeurer à l’écart le restant de la journée, et de
dormir cette nuit dans le foin de l’étable. Demain matin après les vêpres, je
te conduirai à la chapelle pour y recevoir l’absolution.
— Ja, Nonnus. Mais si je puis me permettre… Vous
avez bien dit que je risquais le fouet, n’est-ce pas ? Qu’en est-il en ce
cas de Frère Pierre, niu ?
— Akh, ja, il sera puni lui aussi, n’aie
crainte. Pas aussi sévèrement que si tu avais été vierge, certes. Mais il sera
interdit de sortie, et astreint à une lourde peine de comput.
Je me rendis docilement à l’étable, comme on me l’avait
instamment demandé, mais j’étais miné d’un ressentiment assez peu chrétien à
l’idée que Frère Pierre ne dût subir qu’une punition si légère. Le comput est
un tableau qui selon les mouvements du soleil et de la lune, permet de calculer
la date de Pâques, ainsi que toutes les autres fêtes religieuses durant environ
un tiers de l’année. Cette étude est loin d’être une sinécure, certes. Mais je
ne pouvais me faire à l’idée que cette peine consistant simplement à rester
cloué à sa paillasse, au dortoir, à délibérer sur les complexités mystiques du
comput, fût ce qu’il avait vraiment mérité.
Ma tristesse ne risquait pas non plus d’être allégée par la
constatation que jamais je ne pourrais emmener mon aigle de sang au couvent. Je
pouvais toujours en référer à Frère Polycarpe, le sympathique garçon d’étable.
Je lui indiquai que mon oiseau était enfermé dans une cage en haut du
pigeonnier, et il me promit d’aller le nourrir et de lui donner de l’eau
jusqu’à ce que, Guth wiljis [22] , je puisse d’une manière ou
d’une autre revenir le chercher.
*
Le lendemain matin, après avoir reçu l’absolution, je
suivis, toujours aussi humblement, Dom Clément qui me remit entre les mains
d’Aethera, mère supérieure de Sainte-Pélagie. Peut-être pensez-vous que
j’acceptais avec une excessive soumission cette disgrâce, assortie de mon
éviction. Lorsque j’y resonge, j’en perçois la cause. Là aussi me semble-t-il,
je subissais l’influence de la partie féminine de mon individu. Je ne pouvais
m’empêcher de m’accuser de ce qui était arrivé, de croire que sans le vouloir,
j’avais peut-être même provoqué les répugnantes
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