Thorn le prédateur
nous
rappelaient alors sans états d’âme que ces châtiments, de par le vigoureux
massage facial administré à notre épiderme, ne pouvaient faire que des
merveilles pour notre teint. Dame, à vrai dire, nous ne songions guère à nous
plaindre, car lorsque Mère Aethera levait la main sur nous, c’est qu’elle
n’avait rien trouvé de plus douloureux pour nous frapper. Car dès qu’elle en
avait l’opportunité, elle ne manquait pas d’user de tous les outils à sa
disposition, tels une solide verge en bois de bouleau, ou un nerf de bœuf qui
nous fouettait de son sifflement strident.
Les autres aspects de la vie au couvent, hélas, ne
compensaient guère ces misères. Nous avions certes des cellules individuelles,
y compris chacune des novices, au lieu de la promiscuité du dortoir. Et il faut
bien l’admettre, nous disposions d’une nourriture décente, en quantité
largement suffisante, comme c’était de coutume dans notre fertile Balsan
Hrinkhen. Nous n’avions donc aucun danger de dépérir, si ce n’est
intellectuellement, et j’étais apparemment la seule pensionnaire à en souffrir.
Sainte-Pélagie ne possédait en effet pas de scriptorium , et les seuls
parchemins existants étaient donc jalousement conservés par l’abbesse, qui pour
rien au monde ne les aurait partagés avec qui que ce soit. Elle était
d’ailleurs la seule à savoir lire, y compris parmi les sœurs les plus âgées qui
avaient longtemps vécu à l’extérieur avant de venir s’emmurer ici.
Notre seul enseignement devait être issu des lectures, sermons
et autres admonestations que nous prodiguaient ou la mère supérieure, ou l’une
des vénérables nonnes chargées de notre instruction.
Concernant l’importance de la virginité : « La
race humaine a sombré dans l’asservissement à cause des méfaits d’Ève, initialement
vierge, mais a été rachetée par la pureté de Marie, demeurée totalement
immaculée. D’où il découle l’évidente supériorité d’une intégrale conservation
de votre virginité. Voyez-vous, mes sœurs, cette vertu est telle qu’elle a le
pouvoir d’amender les péchés des autres. » Sur ses avantages dans la vie
pratique : « Même un bon mariage, a dit saint Ambroise, conduit au
plus abject esclavage. Imaginez-vous donc ce que donnerait un
mauvais ? »
Enfin, quant à la solennité qui sied à la virginité :
« Le silence est la plus belle robe que peut arborer une vierge, et sa
plus solide armure. Parler, même pour répandre le bien, est un fâcheux accroc à
sa digne conduite. Rire est bien pire encore. »
Bien qu’on m’ait fermement fait comprendre que toute mon
éducation, à partir de maintenant, ne découlerait que des prêches de ces
nonnes, j’avais pour ma part autre chose à apprendre d’urgence, un savoir que
je ne pourrais acquérir de cette source. Je devais apprendre ce qu’était une
fille.
Je n’eus aucun mal à m’habituer à certaines exigences
basiques de la féminité. La manière idoine de soulager sa vessie, par exemple.
Du fait que les latrines n’étaient pas, contrairement à nos chambres,
individuelles mais communes, il me fallut adapter quelque peu ma conduite. Je calquai
donc ma façon de faire sur celle de mes congénères, relevant ma robe avant de
m’accroupir. Mais la maîtrise de certaines autres pratiques spécifiquement
féminines requit de ma part davantage de concentration, et il fallut
m’instruire en observant mes sœurs novices, parfois étonnées de mes questions
fumeuses, dans la mesure où elles ignoraient tout de mon passé de garçon.
Jamais je n’aurais risqué, naturellement, le ridicule d’une telle confession.
— Tu marches à trop grands pas, objecta un jour Sœur Tilde,
une jeune Alamane qui travaillait à la laiterie du couvent. Où donc as-tu été
élevée, Sœur Thorn ? Dans un marécage, où il te fallait sauter de pierre
en pierre ?
Et une autre fois, comme je pourchassais un cochon enfui de
l’enclos :
— Mais tu cours comme un véritable garçon, Sœur
Thorn ! Où as-tu vu que l’on bondissait de la sorte ?
Je cessai à l’instant de bondir, et fortement contrariée,
lui répliquai d’un ton acerbe :
— Eh bien, va ! Tu t’en occuperas toi-même, de ta
satanée bestiole !
Et avec mauvaise humeur, je lançai une pierre sur la pauvre
bête.
— Ton geste est également typiquement masculin :
non mais regardez-moi ce large moulinet du bras ! On dirait que tu as
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