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Thorn le prédateur

Thorn le prédateur

Titel: Thorn le prédateur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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l’aise.
    Le lys, en particulier, me faisait horreur. On le sait,
quelles que soient leur beauté et leur senteur aromatique, les plantes
n’exhibent jamais, au cœur de leurs pétales, que leurs organes sexuels. Or le
lys, avec son spadice charnu émergeant de cette spathe en forme de vulve, me
semblait être une vivante caricature de mes propres organes.
    Je ne commençai à accepter ma nature duelle qu’après avoir
lu et entendu nombre d’histoires et de vieux chants païens que je n’aurais
jamais pu découvrir au monastère. J’appris ainsi que je n’étais en aucun cas le
premier de mon espèce ; que le terme en gotique de mannamavi , comme
celui d’androgyne, en grec, n’avaient pas été inventés juste « au cas
où » quelqu’un comme moi viendrait à naître. Comme l’a écrit Pline :
« Quand la nature folâtre, elle peut n’importe quoi. » S’il fallait
en croire les histoires païennes, elle avait déjà produit bien d’autres
monstres avant moi.
    Ces légendes faisaient par exemple état d’un ancien,
Tirésias, qui était passé de l’état d’homme à celui de femme, avant de
redevenir un homme. Ovide, quant à lui, faisait référence au dieu secondaire
Hermaphrodite, fils d’Hermès et d’Aphrodite, autrement dit de Mercure et de
Vénus. Ce garçon, qui avait refusé les avances d’une nymphe éprise de lui,
subit sa vengeance : elle demanda aux autres dieux de faire en sorte
qu’ils ne soient plus jamais dissociés l’un de l’autre. Un jour
qu’Hermaphrodite et elle se baignaient dans le même lac, ceux-ci exécutèrent
son vœu et ils ne formèrent plus qu’un seul être, muni des deux sexes. Le sort
ainsi jeté resta associé au lac en question, situé quelque part en Lycie, de
sorte que depuis lors, tout homme qui s’y baigne ressort moitié femme, et toute
femme moitié homme. Je me demandai comment j’en serais ressorti, moi, si
j’avais pu trouver ce lac. Mais jamais je n’ai eu l’occasion de connaître cette
lointaine région de l’Empire d’Orient.
    Il y avait aussi le dieu mineur Agdistis, né comme moi mannamavi. Mais les autres dieux lui avaient coupé l’organe mâle, et il avait survécu
sous la forme de la déesse Cybèle. Parmi les mortels de l’ancien temps,
d’autres que Tirésias avaient changé de sexe au cours de leur vie. Quoique
n’étant pas androgyne lui-même, Néron, l’un des premiers empereurs romains,
avait pris le même plaisir à coucher avec des hommes qu’avec des femmes. Aussi,
lorsqu’il résolut publiquement de « prendre en mariage » l’un de ses
amants, un des convives de la cérémonie fit remarquer, caustique, que « le
monde aurait été bien heureux si le père de Néron avait eu une telle
femme ».
    Non content d’en savoir un peu plus sur ces personnes équivoques
ou au sexe inconstant qui avaient vécu avant moi, j’en vins également à croire
que d’autres mannamavi tels que moi pouvaient fort bien continuer de
naître, de temps à autre, parmi l’espèce humaine. Il semblait par exemple qu’il
en eût subsisté quelques-uns parmi les rejetons du peuple scythe. Ces Scythes
de jadis étaient réputés gros et gras, indolents, et ils ne manifestaient à
l’égard du plaisir sexuel qu’une indifférence notoire, ce qui avait causé,
disait-on, leur dégénérescence et le déclin de leur race. Leurs descendants
n’en avaient pas moins conservé le mot « enarios », qui signifie
« homme-femme »  : voilà qui se référait probablement, me
disais-je, à mon cas.
    Ce que j’appris à travers mes lectures contribua en tout cas
à estomper quelque peu ce lourd sentiment de solitude que je ressentais :
je n’étais pas insupportablement unique. Si des êtres semblables à moi
existaient de par le monde, il n’était pas impossible que je puisse un beau
jour en rencontrer un. J’envisageai même de me transporter jusqu’en Afrique, en
ces terres torrides de Libye ou d’Égypte où vivent de curieux animaux tels que
le tigre-cheval ou l’oiseau-chameau… Peut-être existait-il en ces lieux des
sortes d’hommes composites, eux aussi, qui m’eussent plus ou moins ressemblé ?
Mais je n’y suis jamais allé, et ne puis par conséquent rien en dire.
    Au reste, je me suis un peu écarté du fil de ma chronique.

 
9
    La seconde fois que je fus renvoyé, cette fois
définitivement, de Saint-Damien, j’en sortis, comme lorsque j’avais été banni à
Sainte-Pélagie, empli à la

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