Thorn le prédateur
fois d’excitation et d’appréhension quant aux
aventures que j’allais devoir vivre à l’extérieur du Balsan Hrinkhen. Jamais
je ne m’étais encore éloigné au-delà des plus proches fermes et villages du
plateau, encore était-ce rarement et jamais seul. Cela n’était arrivé qu’une
seule fois, lorsqu’un frère m’avait emmené dans un des chariots du monastère
pour l’aider à charger quelques marchandises et du fourrage pour les bêtes.
Achevant l’ascension du Cirque de Baume et sur le point d’entrer dans le vaste
plateau ondulé du Iupa , tandis que je progressais, chaudement couvert de
mon manteau en peau de chèvre doublé de mouton, je me sentis, face à l’hiver
qui se fait si noir quand le soir tombe, presque nu et sans défense face à
l’avenir. Au monastère, tout avait été prévisible. Mais ici, j’étais sur la
route : une route sans murs, ouverte à tous les vents, sans protection ni
limites. Une route où rien ne serait jamais écrit de ce qui pouvait survenir
d’un lieu à un autre, et d’un jour sur l’autre.
Les deux ou trois premiers villages qui se présentèrent sur
le chemin m’étaient connus. J’y fus donc identifié comme « celui du
monastère », et bien que les villageois aient regardé mon juika-bloth avec
surprise et curiosité, ils crurent sans doute que je venais en mission depuis
Saint-Damien. Mais au-delà, pénétrant en territoire inconnu, j’avais de
sérieuses raisons de craindre que l’on ne me prît par erreur pour un esclave en
fuite et que l’on cherchât à s’assurer de moi.
Je n’avais évidemment aucun certificat d’affranchissement.
N’étant pas esclave, je ne pouvais en avoir reçu. Or, il n’existe aucun autre
moyen à la vérité, de prouver que l’on est vraiment une personne libre. Bien
sûr, un homme ou une femme adulte n’a en général pas besoin de produire une
telle preuve, à moins de porter les cicatrices et callosités consécutives au
port du collier de fer et des chaînes, ou de correspondre au signalement d’un
véritable esclave en fuite. Mais un jeune tel que moi, surpris à vagabonder à travers
la campagne, pouvait fort bien se faire accoster puis appréhender par n’importe
qui et être saisi comme esclave. Peu importeraient ses protestations
d’innocence, ses vociférations ou même ses plausibles explications. La parole
d’un adulte prévaut toujours, face à une cour de justice.
Les garçons sont des proies de choix : même encore
bambins, ils valent bien ce que coûtera leur entretien jusqu’à l’âge adulte,
car ils seront alors en mesure de travailler. J’étais déjà de toute façon en
âge de le faire, et que je fusse garçon ou fille, j’étais potentiellement utile
ou désirable. La tenue que je portais était, en ces contrées rurales, commune
aux deux sexes. Et eussé-je trimballé avec moi un panneau proclamant haut et
fort ce que j’étais, j’aurais affronté le même danger : en garçon, d’être
soumis sur-le-champ à de lourdes corvées ; en fille, d’être chargée de
tâches plus légères, mais conviée en sus à partager la couche de mon
« nouveau maître ».
Aussi, dès que je détectais le pas d’un vagabond, d’un cavalier
ou d’un conducteur de chariot, je me jetais sur le côté et m’allongeais dans un
buisson ou derrière une haie, le temps de le laisser s’éloigner. Lorsque je
parvenais aux abords d’un nouveau village, je le contournais à bonne distance.
Je m’interdisais de demander à quiconque le gîte ou le couvert. Même par le
temps le plus sombre ou le plus neigeux, je trouvai toujours à me loger assez
confortablement dans une charrette ou un grenier à foin aux alentours des
fermes, ayant soin de me réveiller assez tôt pour prendre le large avant que le
fermier ne survienne pour entamer les travaux champêtres. Pour me nourrir, je
me débrouillais. Je n’avais à disposition qu’une fronde, et il était rare
qu’elle me procurât un lapin ou un oiseau comestible. Mon rapace était bien
meilleur chasseur, mais jamais je ne fus assez affamé pour partager avec lui la
moindre de ses prises, que ce soient des serpents, des souris ou autres.
Il n’y avait pas grand-chose à prélever sur les champs en
jachère d’hiver à l’exception d’un occasionnel navet, en général surveillé de
près ou congelé. Aussi, je le confesse, lorsque je n’avais pas d’autre
solution, je chapardais des œufs dans les basses-cours,
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