Thorn le prédateur
par les
teintures colorées, ni le fracas métallique venu des forges et ateliers des
villes où l’on tisse et l’on teint l’étoffe, où le cuir est tanné, les pierres
taillées, les métaux travaillés. Tous ces produits, Vesontio les importe, les
payant de la vente du sel extrait des mines du voisinage et du bois parfumé
qu’elle tire de ses forêts. L’autre source de revenus de la ville provient des
visiteurs accourant l’été de tous les coins d’Occident. Ils viennent profiter
des eaux thermales riches en minéraux alimentées par les sources chaudes du
quartier Palustre, sur l’autre rive du Doubs. Cette exploitation du thermalisme
procure du reste à la ville un coquet bénéfice.
Le pont de pierre enjambant la rivière entre Vesontio et
Palustre était le premier que je découvrais de ma vie, et en le voyant, je
m’émerveillai que la pierre puisse ainsi flotter sur l’eau. Ce n’est qu’après
un instant d’observation que je réalisai que ses épais piliers, traversant la
rivière, reposaient en fait au fond de son lit. Je fis à Vesontio quantité
d’autres découvertes, tel le vaste arc de triomphe qui en surplombe l’entrée.
Érigé par l’empereur Marc Aurèle, il avait durement subi les affres du temps,
mais je parvins encore à y distinguer les bas-reliefs commémorant les victoires
impériales. Il existe aussi là-bas un amphithéâtre, si immense qu’il semblait
pouvoir englober en entier le Cirque de Baume. Ce n’est évidemment pas le cas,
mais ses hauts gradins de pierre contiendraient sans doute vingt fois la
population de la vallée. Je ne pus admirer que de l’extérieur les fins
bâtiments de marbre abritant les thermes, car il fallait payer pour en
apprécier les bienfaits, mais je me rendis à Saint-Ferjeux, première église que
je voyais depuis notre chapelle de Saint-Damien. Cette dernière y eût tenu
plusieurs fois. Les splendides murs de la basilique étaient décorés de
mosaïques ainsi que de peintures de scènes bibliques.
Cependant ce qui me frappa le plus à Vesontio, fut
l’incroyable variété des vêtements de ses habitants. Non seulement ils étaient
différents de l’habit des gens des campagnes, mais ceux des hommes n’avaient
rien à voir avec ceux des femmes, y compris ceux des enfants ayant sensiblement
mon âge. Même si dans le détail, les femmes étaient loin d’être vêtues à l’identique,
elles portaient toutes des toges richement brodées descendant aux genoux, et
celles qui n’allaient pas tête nue, arborant fièrement de longues tresses
libres, étaient coiffées de chapeaux multicolores. Les hommes portaient un
manteau de cuir mi-long sur une tunique courte, serrée à la ceinture, et des
braies descendant aux genoux reliées à des jambières en cuir tressé. La
majorité des hommes allaient eux aussi tête nue, mais certains portaient des
casquettes de cuir aux formes les plus fantaisistes. Leur niveau social
transparaissait dans la qualité des costumes en somptueuse laine de Bétique et
de Modène ou en batiste de Cambrai ainsi que dans le nombre d’ornements de
valeur qu’ils arboraient. Les riches citoyens affichaient une fibule sur l’épaule
droite, les femmes de la bonne société en ayant une sur chaque épaule. Les
boucles de ceinture des hommes, souvent fort élaborées, le disputaient aux
ornements ceignant les chevilles et les poignets de leurs épouses. La plupart
de ces bijoux étaient en or, sertis de grenats, rubis ou fragments de verre
taillé. Vu la rigueur hivernale, beaucoup portaient des manteaux de fourrure.
Je n’avais nullement les moyens d’acheter des vêtements
susceptibles de rivaliser avec les leurs, mais fort heureusement, suffisamment
de paysans arpentaient les rues de Vesontio pour que je puisse passer inaperçu
dans ma peau de mouton, mon sarrau et mes chausses. Je décidai néanmoins qu’il
pourrait être dans mon intérêt d’acquérir une tenue me permettant de me changer
en femme si cela s’avérait nécessaire. Cependant, il était un autre instrument
dont j’avais besoin avant toute chose, comme j’avais pu m’en rendre compte sur
la route et au long de la rivière : un couteau.
Dès mon arrivée à Vesontio, je repérai l’échoppe d’un
coutelier, mais ne m’y rendis pas immédiatement. J’attendis que vers midi, une
femme vînt le remplacer. Elle était venue à l’évidence informer son mari que le prandium était prêt. C’est le moment que je choisis pour
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