Thorn le prédateur
avant de le charger de mon poids, de peur de faire craquer
une branche ou crisser des feuilles mortes cachées sous la neige. J’appris
aussi à ne pas relâcher les branches n’importe comment après les avoir séparées
pour me frayer un passage, ainsi que d’autres stratagèmes de coureurs des bois.
Parfois, Wyrd et moi traversions une étendue rocheuse d’où la neige avait été
balayée par le vent, et lorsque le tapis neigeux reprenait un peu plus loin,
nous poursuivions notre route en marchant à reculons jusqu’à la
prochaine zone déneigée. Cela n’abuserait sans doute pas les bêtes de la forêt,
disait-il, mais cela pouvait toujours retarder d’éventuels poursuivants huns
lancés à nos trousses.
Il arrivait à Wyrd d’interrompre notre marche en plein
après-midi, ou de la poursuivre au contraire jusque tard après la tombée de la
nuit, afin que nous trouvions toujours à l’étape un ruisseau ou un petit étang
gelé où nous ravitailler. Souvent aussi, il s’arrêtait sans prévenir, me
stoppant du geste, posait son sac en silence, et saisissait son arc pour tirer
sur une hermine ou un lièvre des neiges qui, assis immobile sur l’égale
immensité blanche, m’avait totalement échappé. Il me semblait alors que Wyrd
devait avoir deux ou trois sens de plus que le commun des mortels, et je le lui
fis remarquer sans lui cacher mon admiration.
— Skeit, grogna-t-il, ramassant sa dernière
prise. C’est ton aigle qui a repéré celui-ci. Moi, je n’ai fait qu’observer ton
aigle. Il préfère peut-être dîner de reptiles, mais il voit tout. Et quand je
le regarde, j’en fais autant. Un bien utile compagnon, que cet aigle. Tu as la
vision un tantinet paresseuse, gamin. Comme pour n’importe quel autre talent,
il te faut la travailler pour la rendre plus aiguë. Quant à ton odorat, tu as
simplement vécu trop longtemps entre quatre murs et sous un toit. Passe
suffisamment de temps en pleine nature, et tu apprendras à discerner les
différentes odeurs qu’ont la neige, la glace et l’eau.
Je dois le reconnaître, je n’ai jamais développé la capacité
de Wyrd à reconnaître l’odeur de l’eau. Mais je m’évertuai à exercer ma vue, et
à ma relative surprise, je m’aperçus que l’on peut, avec un peu d’entraînement,
réussir à voir des choses que l’on ne parvenait pas à remarquer auparavant. Je
constatai par exemple que l’on perçoit plus aisément le mouvement en fixant
d’avance, et directement, la zone où on peut l’attendre – ou le craindre.
En revanche, les objets de petite taille, ternes ou immobiles se repèrent plus
aisément par une vision périphérique. Et je finis, comme le disait Wyrd, par
« voir avec le blanc des yeux », jusqu’à distinguer un petit animal
d’hiver rien qu’à sa légère différence de blanc sur la neige où il se tenait
immobile comme une statue, n’attendant que notre départ pour s’animer de
nouveau.
Lorsque je fus devenu capable de localiser ces petits
animaux, et quand nous n’étions pas suspendus pour le repas du soir à la
capture d’un gibier, Wyrd me laissait essayer le premier d’en abattre un, à
l’aide de ma fronde. Il armait toujours, cependant, une flèche pour rattraper
le coup au cas où je manquerais la cible… ce qui, au début, m’arriva plus
souvent qu’à mon tour.
— Tout cela parce que tu manies cette arme à la façon
de David, dans la Bible, déplora Wyrd d’un ton aigre. Voilà ce que c’est que
d’avoir été élevé dans un monastère. Il ne fait aucun doute qu’en faisant
tournoyer ainsi ta fronde au-dessus de ta tête, tu vas envoyer ta pierre à la
fois vite et loin. Mais c’est au détriment de la précision. Tu ne dois pas
avoir pour but d’expédier ton caillou au-delà des Alpes, et qui plus est
n’importe où. Ce que tu cherches à faire, c’est toucher quelque chose, et cette
cible est généralement proche, quand il s’agit d’un petit animal, ton Goliath
du moment. Tu verras, gamin, qu’il est bien plus efficace de manier l’engin
perpendiculairement à toi, et sur le côté.
Obéissant, j’essayai. Et naturellement, pas encore habitué à
ce mode de propulsion, je m’y pris avec une atroce maladresse.
— Ne, ne ! fit Wyrd, d’un air dégoûté. Rien
ne t’oblige à faire tournoyer ton engin comme une toupie. Deux ou trois tours
sont amplement suffisants. De toute façon, tu t’y prends comme un manche, car
tu envoies la pierre par le
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