Thorn le prédateur
plus
loin, se frayant un chemin parmi les os et les muscles à travers la tête de
l’ours, jusqu’à pénétrer dans son cerveau et venir frapper à l’intérieur la
formidable épaisseur de sa boîte crânienne, dont elle émergeait par l’occiput
de presque un empan.
— Jamais vous ne parviendrez à récupérer cette flèche-là,
commentai-je, tandis que Wyrd, agenouillé, travaillait déjà à extraire l’autre
de la patte antérieure de l’ours.
— Je ne connais en effet pas de meilleur moyen de
perdre une flèche, concéda-t-il. Mais tu peux aller récupérer les autres dans la
grotte. Il va faire sombre à l’intérieur, aussi choisissons d’abord
l’emplacement du bivouac et dressons-y un feu de camp. Tu pourras y prélever
une torche pour t’éclairer à l’intérieur du repaire. J’en ai tiré huit
autres ; veille à les récupérer toutes.
— Ja, fráuja, acquiesçai-je, pénétré d’un
véritable respect. Et vous allez nous y cuire un bon dîner de viande
d’ours ?
— Ne, ne, répliqua-t-il. Regarde ça.
Il tira de son habit un petit couteau, opéra une découpe
dans la fourrure ventrale de l’animal et fit une incision dans le cuir de sa
peau. Il en sortit une considérable quantité de graisse jaune.
— Trop gras pour qu’on se donne la peine de l’écorcher
maintenant.
— Quel dommage ! Vous devez être aussi affamé que
moi. Mais enfin peut-être qu’une petite fesse… ?
— Ne, répéta-t-il. On ne peut pas découper
l’animal avant que je n’aie retiré sa peau en entier. Ce ne sera pas une tâche
facile ni rapide, et la nuit va bientôt tomber.
Il se leva et regarda tout autour de lui.
— Fais ce que je t’ai dit et dresse un feu. Là
derrière, cela me semble le meilleur endroit.
— Vous voulez dire, fráuja, qu’avec ce monceau
de viande rouge fraîche étendu ici, nous allons dîner de nos tranches marron de
bacon séché ?
— Ne, réitéra-t-il pour la troisième fois, l’air
soudain comme aux aguets. Je parie que le vacarme que nous avons fait a dû
attirer du monde… Les animaux sont parfois curieux et… Akh, en voilà
un !
Il avait projeté un regard au-delà de mon épaule, mais avant
que je n’aie le temps de me retourner, il leva vivement son arc, saisit une
flèche dans le carquois derrière lui, l’ajusta, tendit la corde et la laissa
filer. Le projectile passa si près de mon oreille que je n’en ressentis pas
simplement l’usuel vrombissement, mais le même ébouriffage de cheveux que lorsque
mon aigle atterrissait sur mon épaule. Quand je me retournai pour de bon, la
proie de Wyrd était déjà tombée, à quelque trente pas de là. C’était une sorte
de chèvre, mais elle possédait des cornes plus impressionnantes que celles de
ses congénères ; des bois épais, longs, courbés vers l’arrière, élégamment
plantés sur son front. Je n’avais jamais vu ce genre d’animal, et le fis
observer.
— C’est un bouquetin, assura Wyrd. Ils hantent
d’habitude les cimes alpines, et ne descendent à ces hauteurs qu’en plein
hiver. Ils sont curieux comme des chats, par chance pour nous. Et leur viande
est maigre, vu qu’ils n’hibernent pas. Plus goûteuse encore que celle du
mouton. Bon, tu vas aller nous l’allumer ce feu, niu ?
Je m’exécutai, à l’endroit même qu’il avait indiqué, et je
ne fus pas surpris de découvrir, sous la neige et une pellicule de glace, un
ruisselet d’eau fraîche. Quand Wyrd commença à dépecer le bouquetin, je
remarquai que la marque de fabrique de son couteau était typique des Goths,
puisque celle du « serpent torsadé » était profondément gravée dans
le métal. Cette lame avait tellement servi qu’il n’en restait plus qu’un petit
morceau, mais il la maniait d’une main experte au dépeçage, et y mettait un
soin extrême.
Je lui demandai :
— Comptez-vous garder cette peau pour la vendre
également ?
Il secoua sa crinière en bataille.
— En été oui, je le ferais. Mais cette rude fourrure
d’hiver ne vaut pas la peine que tu la transportes. Les ramures, en revanche,
me rapporteront un bon prix. Si j’enlève la peau, c’est juste pour cuire la
viande dedans.
— La cuire dans la peau ? Comment cela ?
— Iésus ! Tu le verras bien, quand tu seras
revenu avec mes flèches. Si jamais ça doit arriver un jour.
Je pris une branche allumée au feu et revins à l’endroit où
l’ours avait été tué. Je ne tardai pas à y
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