Thorn le prédateur
occasion
comme toujours.
Wyrd inclina la tête en remerciement, et dit au légat :
— Je n’aurai besoin de personne d’autre.
— Peut-être. Mais il est quelqu’un que j’aimerais que
tu emmènes aussi. Mon fils Fabius.
— Écoute, camarade, répliqua Wyrd. Ce que je suis en
train d’envisager – et l’espoir d’y parvenir est fort mince – c’est de
sauver ta descendance, en la personne de ton ultime héritier. Si je faillis,
tous les gens impliqués périront. Y compris ton Fabius. Ce qui mettra un terme
à toute l’existence de ta lignée. Cette tâche demande de l’astuce, de la
patience et une grande prudence. Je vois mal un mari légitimement outragé,
éperdu et désespéré…
— Fabius a été soldat romain avant d’être mari. Il
l’est resté, envers et contre tout. Si je le mets sous tes ordres, il t’obéira.
Pense un peu à ce que tu ressentirais, Uiridus, si tu étais à sa place… ou même
à la mienne. En ce qui concerne la poursuite de notre lignée, je te l’ai dit,
Fabius ne survivrait pas longtemps à l’échec d’une telle tentative. Il mérite
d’y participer. Donne-lui au moins une chance de mourir d’une autre épée que la
sienne !
Wyrd fit rouler ses yeux dans toutes les directions.
— J’ai gardé le souvenir d’un Fabius robuste, d’un
gaillard bien bâti. Pourrais-je au moins voir s’il l’est resté ?
Le légat donna l’ordre de faire amener son fils,
soigneusement menotté et dûment encadré. Nous terminions notre dessert lorsque
nous parvint un tintement métallique mêlé de bruits de pas, et un moment après
s’encadra dans la porte un jeune homme qui ressemblait à s’y méprendre au
légat. Il était en grande tenue de combat, son casque sous un bras et son
aigrette de parade sous l’autre, mais ses poignets cerclés de fer portaient des
chaînes, fermement maintenues par deux paires de soldats circonspects. Je me
serais attendu, vu les quatre hommes qui l’encadraient, à ce que Fabius se
débattît comme un forcené, cherchant à étrangler ce père qui le tenait captif.
Mais il se contenta de le couver d’un regard sinistre de ses yeux rougis,
encore attisés par la pâleur cadavérique de son visage tourmenté. Je crus aussi
entendre ses dents grincer, mais il se rendit compte alors que son père n’était
pas seul dans le triclinium , et ses yeux glissèrent durement sur moi,
puis sur Wyrd.
— Salve, Optio Fabius, lança Wyrd, d’un ton
plutôt enjoué.
— Uiridus ? riposta incrédule le jeune homme,
scrutant le visage de Wyrd avec étonnement, sans doute parce qu’il ne l’avait
jamais vu propre. Salve, Caius Uiridus. Que faites-vous ici ?
— Avec mon apprenti Thorn, ici présent, nos préparons
une incursion chez ces Huns qui retiennent en otage ton épouse et ton fils. Il
est plus que probable que nous trouverons la mort au terme de cette folle
entreprise, tout comme eux. Ton père suggère que tu viennes mourir avec nous.
— Il suggère ? s’exclama Fabius, à qui le rouge
était subitement remonté aux joues. Mais je vous interdis de partir sans
moi !
— Je dirigerai les opérations. Tu devras donc te plier
à toutes…
— Pas un mot de plus, décurion Uiridus ! aboya
Fabius. Je suis un optio de la onzième légion !
Avec un mouvement soudain qui tira sèchement sur les chaînes
et fit vaciller ses gardiens sur leurs pieds, il prit sous son bras la crête
recourbée en métal et en crins de cheval, l’emboîta dans la rainure surmontant
son casque, et enfonça ce dernier sur sa tête.
— Je suis prêt à vous suivre à l’instant !
— Iésus, marmonna Wyrd pour lui-même. Ça, c’est
du soldat romain.
D’un ton lourd de sarcasmes, il demanda au jeune
homme :
— Comment, tu n’emmènes pas une trompette, histoire
d’annoncer ta triomphale arrivée ? Allons, nigaud, mets-moi ce
harnachement au rancart, et arrive demain en grossier costume d’homme des bois.
Je te ferai signe quand l’heure sera venue.
Les quatre soldats remmenèrent Fabius, bien qu’il se démenât
cette fois pour résister, criant en tentant de retourner la tête :
— Mais que comptez-vous faire, Uiridus ? Comment
attaquerons-nous ? Avec combien d’hommes ?
Ni Wyrd ni le légat ne lui répondirent, et ses cris finirent
par se perdre dans le lointain.
— Iésus, murmura de nouveau Wyrd. Les Juifs ont
un sage dicton, qui dit qu’Adam n’aurait jamais pris femme, si Jéhovah
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