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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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famille entière vient le soir chercher un asile. Cette demeure forme à elle seule comme un petit monde.
    C'est l'ar­che de la civilisation perdue au milieu d'un océan de feuillage, c'est une sorte d'oasis dans le désert. Cent pas plus loin l'éternelle forêt étend autour d'elle son ombrage, et la solitude recommence.

        Ce n'est que le soir et après le coucher du soleil que nous arrivâmes à Pontiac. Vingt maisons très propres et fort jolies, formant autant de boutiques bien garnies, un ruisseau transparent, une éclaircie d'un quart de lieue carrée, et l'éternelle forêt à l'entour : voilà le tableau fidèle du village de Pontiac qui dans vingt ans peut-être sera une ville. La vue de ce lieu me rappelle ce que m'avait dit un mois avant à New York M. Gallatin : qu'il n'y a pas de village en Amérique, du moins dans l'acception qu'on donne chez nous à ce mot. Ici les maisons des cultivateurs sont toutes éparpillées au milieu des champs. On ne se réunit dans un lieu que pour y établir une espèce de marché à l'usage de la population environnante. On ne voit dans ces prétendus villa­ges que des hommes de loi, des imprimeurs ou des marchands.

        Nous nous fîmes conduire à la plus belle auberge de Pontiac (car il y en a deux) et l'on nous introduisit comme de coutume dans ce qu'on appelle le
bar-room.
C'est une salle où l'on donne à boire et où le plus simple ouvrier comme le plus riche com­merçant du lieu viennent fumer, boire et parler politique ensemble sur le pied de l'égalité extérieure la plus parfaite. Le maître du lieu ou le landlord était, je ne dirai pas un gros paysan, il n'y a pas de paysan en Amérique, mais du moins A très gros monsieur qui portait sur sa figure cette expression de candeur et de simplicité qui distingue les maquignons normands.
    C'était un homme qui, de peur de vous intimider, ne vous regardait jamais en face en vous parlant, mais attendait pour vous considérer à son aise que vous fussiez occupé à converser ailleurs. Du reste, profond politique et, suivant les habitudes américaines, impitoyable questionneur. Cet esti­mable citoyen, ainsi que le reste de l'assemblée, nous considéra d'abord avec étonne­ment. Notre costume de voyage et nos fusils n'annonçaient guère des entrepreneurs d'industrie et voyager pour voir était une chose absolument insolite. Afin de couper court aux explications, nous déclarâmes tout d'abord que nous venions acheter des terres. A peine le mot fut-il prononcé, que nous nous aperçûmes qu'en cherchant à éviter un mal nous nous étions jetés dans un autre bien plus redoutable.

        On cessa il est vrai de nous traiter comme des êtres extraordinaires, mais chacun voulut entrer en marché avec nous ; pour nous débarrasser d'eux et de leurs fermes, nous dîmes à notre hôte qu'avant de rien conclure nous désirions obtenir de lui d'utiles renseignements sur le prix des terrains et sur la manière de les cultiver. Il nous introduisit aussitôt dans une autre salle, étendit avec une lenteur convenable une carte du Michigan sur la table de chêne qui se trouvait au milieu de la chambre et, plaçant la chandelle entre nous trois, attendit dans un impassible silence ce que nous avions à lui communiquer. Le lecteur, sans avoir comme nous l'intention de s'établir dans l'une des solitudes de l'Amérique, peut cependant être curieux de savoir com­ment s'y prennent tant de milliers d'Européens et d'Américains qui viennent chaque année y chercher un asile.
    Je vais donc transcrire ici les renseignements fournis par notre hôte de Pontiac. Souvent, depuis, nous avons été à même de vérifier leur par­faite exactitude.

        « Il n'en est pas ici comme en France, nous dit notre hôte après avoir écouté tran­quillement toutes nos questions et mouché la chandelle ; chez vous la main-d’œuvre est à bon marché et la terre est chère ; ici l'achat de la terre n'est rien et le travail de l'homme hors de prix. Ce que je dis, afin de vous faire sentir que, pour s'établir en Amérique comme en Europe, il faut un capital, bien qu'on l'emploie différemment. Pour ma part, je ne conseillerais à qui que ce soit de venir chercher fortune dans nos déserts à moins d'avoir à sa disposition une somme de 150 à 200 dollars (800 à 1.000 francs). L'acre dans le Michigan ne se paye jamais plus de 10 shillings (environ 6 fr. 50 c.) lorsque la terre est encore inculte. C'est à peu près le

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