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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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ouverte vous annonceront dès l'abord le goût des plaisirs sociaux, et l'insouciance de la vie. Dans le premier moment vous le prendrez peut-être pour un Indien ; soumis à la vie sauvage, il en a adopté volontairement les habits, les usages et presque les mœurs. Il porte les mocassins, le bonnet de loutre et le manteau de laine. Il est infatigable chasseur, couche à l'affût, vit de miel sauvage et de chair de bison. Cet homme n'en est pas moins pourtant encore resté un Français gai, entre­prenant, glorieux, fier de son origine, amant passionné de la gloire militaire, plus vaniteux qu'intéressé, homme d'instinct, obéissant à son premier mouvement mieux qu'à sa raison, préférant le bruit à l'argent. Pour venir au désert il semble avoir brisé tous les liens qui l'attachaient à la vie : on ne lui voit ni femme ni enfants. Cet état est contraire à ses mœurs, mais il s'y soumet facilement comme à toute chose. Livré à lui-même, il se sentirait naturellement l'humeur casanière : nul plus que lui n'a le goût du foyer domestique ; nul n'aime mieux a réjouir sa vue par l'aspect du clocher pater­nel ; mais on l'a arraché malgré lui à ses habitudes tranquilles, on a frappé son imagination par des tableaux nouveaux, on l'a transplanté sous un autre ciel ; ce même homme s'est senti tout à coup possédé d'un besoin insatiable d'émotions violentes, de vicissitudes et de dangers.
    L'Européen le plus civilisé est devenu l'adorateur de la vie sauvage. Il préférera les savanes aux rues des villes, la chasse à l'agriculture. Il se jouera de l'existence et vivra sans nul souci de l'avenir.
         
    Les blancs de France, disaient les Indiens du Canada, sont aussi bons chasseurs que nous. Comme nous, ils méprisent les commodités de la vie et bravent les terreurs de la mort.
    Dieu les avait créés pour habiter la cabane du sauvage et vivre dans le désert. [Vingt-cinq ans plus tard, dans la conclusion de son dernier livre,
L'Ancien Régime et la Révo­lution,
Tocqueville fera un portrait du caractère national français assez ressemblant avec ce qu'on vient de lire :
                    "Quand je considère cette nation en elle-même, je la trouve plus extraordinaire qu'aucun des événements de son histoire. En a-t-il jamais paru sur la terre une seule qui fût si remplie de contrastes et si extrême dans chacun de ses actes, plus conduite par ses sensations, moins par des principes ; faisant ainsi toujours plus mai ou mieux qu'on ne s'y attendait, tantôt au-dessous du niveau commun de l'humanité, tantôt fort au-dessus ; un peuple tellement inaltérable dans ses principaux instincts qu'on le reconnaît encore dans des portraits qui ont été faits de lui il y a deux ou trois mille ans, et en même temps tellement mobile dans ses pensées journalières et dans ses goûts qu'il finit par se devenir un spectacle inattendu à lui-même, et demeure souvent aussi surpris que les étrangers à la vue de ce qu'il vient de faire ; le plus casanier et le plus routinier de tous quand on l'abandonne à lui-même, et lorsqu'une fois on l'a arraché malgré lui à son logis et à ses habitudes, prêt à pousser jusqu'au bout du monde et à tout oser ; indocile par tempérament, et s'accommodant mieux toutefois de l'empire arbitraire et même, violent d'un prince que du gouver­nement régulier et libre des principaux citoyens ; aujourd'hui l'ennemi déclaré de toute obéissance, demain mettant à servir une sorte de passion que les nations les mieux douées pour la servitude ne peuvent atteindre ; conduit par un fil tant que personne ne résiste, ingouvernable dès que l'exemple de la résistance est donné quelque part ; trompant toujours ainsi ses maîtres, qui le craignent ou trop ou trop peu ; jamais si libre qu'il faille désespérer de l'asservir, ni si asservi qu'il ne puisse encore briser le joug ; apte à tout, mais n'excellant que dans la guerre ; adorateur du hasard, de la force, du succès, de l'éclat et du bruit, plus que de la vraie gloire ; plus capable d'héroïsme que de vertu, de génie que de bon sens, propre à concevoir d'immenses desseins plutôt qu'à parachever de grandes entreprises ; la plus brillante et la plus dangereuse des nations de l'Europe, et la mieux faite pour y devenir tour à tour un objet d'admiration, de haine, de pitié, de terreur, mais jamais d'indifférence ?"
     On trouve ce texte dans les
Oeuvres complètes, l'Ancien

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