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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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conseils de notre compatriote le sauvage, je m'assis au fond du canot et me tins aussi en équilibre qu'il m'était possible. Le cheval entra dans la rivière et se mit à la nage tandis que le Canadien poussait la nacelle de l'aviron, tout en chantant à demi voix sur un vieil air français le couplet suivant dont je ne saisis que les deux premiers vers :

        
Entre Paris et Saint-Denis

        
        
Il était une fille.

        Nous arrivâmes ainsi sans accident sur l'autre bord. Le canot retourna aussitôt chercher mon compagnon. Je me rappellerai toute ma vie le moment où pour la se­conde fois il s'approcha du rivage. La lune qui était dans son plein, se levait précisément alors au-dessus de la prairie que nous venions de traverser. La moitié de son disque apparaissait seule sur l'horizon ; on eût dit une porte mystérieuse à travers laquelle s'échappait vers nous la lumière d'une autre sphère. Le rayon qui en sortait venait se refléter dans les eaux du fleuve et arrivait en scintillant jusqu'à moi. Sur la ligne même ou vacillait cette pâle lumière s'avançait la pirogue indienne, on n'aper­cevait pas de rames, on n'entendait pas le bruit des avirons, elle glissait rapidement et sans effort, longue, étroite et noire, semblable à un alligator du Mississipi qui s'allonge vers la rive pour y saisir sa proie.
    Accroupi sur la pointe du canot, Sagan-Cuisco, la tête appuyée contre ses genoux, ne laissait voir que les tresses luisantes de sa chevelure. A l'autre extrémité le Canadien ramait en silence, tandis que derrière lui, le cheval faisait rejaillir l'eau de la Saginaw sous l'effort de sa puissante poitrine. Il y avait dans l'ensemble de ce spectacle une grandeur sauvage qui fit alors et qui a laissé depuis une impression profonde dans notre âme. Débarqués sur le rivage nous nous hâtâmes de nous rendre à une maison que la lune venait de nous découvrir à cent pas du fleuve et où le Canadien nous assura que nous pouvions trouver un gîte. Nous parvînmes en effet à nous y établir convenablement et nous y aurions probable­ment réparé nos forces par un profond sommeil si nous avions pu nous débarrasser des myriades de moustiques dont la maison était remplie ; mais c'est à quoi nous ne pûmes jamais parvenir. L'animal qu'on appelle
mosquito
en anglais, et
maringouin
en français canadien est un petit insecte semblable en tout au cousin de France dont il diffère seulement par la grosseur. Il est généralement plus grand et sa trompe est si forte et si acérée que les étoffes de laine peuvent seules garantir de ses piqûres. Ces petits moucherons sont le fléau des solitudes de l'Amérique. Leur présence suffirait pour y rendre un long séjour insupportable. Quant à moi je déclare n'avoir jamais éprouvé un tourment semblable à celui qu'ils m'ont fait souffrir pendant tout le cours de ce voyage et particulièrement durant notre séjour a Saginaw. Le jour ils nous empêchaient de dessiner, d'écrire, de rester un seul moment en place, la nuit ils circulaient par milliers autour de nous ; chaque endroit du corps que vous laissiez découvert leur servait à l'instant de rendez-vous.
    Réveillés par la douleur que causait la piqûre nous nous couvrions la tête de nos draps, leur aiguillon passait à travers ; chassés, poursuivis ainsi par eux nous nous levions et nous allions respirer l'air du dehors jusqu'à ce que la fatigue nous procurât enfin un sommeil pénible et inter­rompu.

        Nous sortîmes de très bonne heure et le premier spectacle qui nous frappa en quittant la maison, ce fut la vue de nos Indiens qui, roulés dans leurs couvertures près de la porte, dormaient à côté de leurs chiens.

        Nous apercevions alors pour la première fois au grand jour le village de Saginaw que nous étions venus chercher de si loin.

        Une petite plaine cultivée bordée au sud par une belle et tranquille rivière, à l'est, à l'ouest et au nord par la forêt, compose quant à présent, tout le territoire de la cité naissante.

        Près de nous s'élevait une maison dont la structure annonçait l'aisance du proprié­taire. C'était celle où nous venions de passer la nuit. Une demeure de même espèce s'apercevait à l'autre extrémité du défrichement. Dans l'intervalle et le long de la lisiè­re du bois deux ou trois log-houses se perdaient à moitié dans le feuillage.
    Sur la rive opposée du fleuve, s'étendait la

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