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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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serpents à sonnettes ? - Oh vraiment oui, répliqua mon Normand d'Amérique avec un imperturbable sang-froid,y en a tout plein. »
    Je lui reprochai alors de ne pas nous avoir avertis plus tôt. Il prétendit que comme nous portions de bonnes chaussures et que le serpent à sonnettes ne mordait jamais au-dessus de la cheville du pied, il n'avait pas cru que nous courussions grand danger.

        Je lui demandai si la blessure du serpent à sonnettes était mortelle. Il répondit qu'on en mourait toujours en moins de vingt-quatre heures, si on n'avait pas recours aux Indiens. Ceux-ci connaissaient un remède qui, donné à temps, sauvait, dit-il, le malade.

        Quoi qu'il en soit, pendant tout le reste du chemin nous imitâmes notre guide et nous regardâmes comme lui à nos pieds.

        La nuit qui succéda à ce jour brûlant fut une des plus pénibles que j'aie passées dans ma vie. Les moustiques étaient devenus si gênants que, bien qu'accablé de fatigue, il me fut impossible de fermer l’œil. Vers minuit l'orage qui menaçait depuis longtemps éclata enfin. Ne pouvant plus espérer m'endormir je me levai et fus ouvrir la porte de notre cabane pour respirer au moins la fraîcheur de la nuit. Il ne pleuvait point encore, l'air paraissait calme ; mais la forêt s'ébranlait déjà et il en sortait de profonds gémissements et de longues clameurs. De temps en temps un éclair venait à illuminer le ciel. Le cours tranquille de la Saginaw, le petit défrichement qui borde ses rives, les toits de cinq ou six cabanes et la ceinture de feuillage qui nous envelop­pait, apparaissaient alors un instant comme une évocation de l'avenir.
    Tout se perdait ensuite dans l'obscurité la plus profonde, et la voix formidable du désert recommen­çait à se faire entendre.

        J'assistais avec émotion à ce grand spectacle, lorsque j'entendis soupirer à mes côtés, et à la lueur d'un éclair, j'aperçus un Indien appuyé comme moi sur le mur de notre demeure. L'orage venait sans doute d'interrompre son sommeil, car il promenait un oeil fixe et troublé sur les objets qui l'environnaient.

        Cet homme craignait-il la foudre ? Ou voyait-il dans le choc des éléments autre chose qu'une convulsion passagère de la nature ? Ces fugitives images de civilisation qui surgissaient comme d'elles-mêmes au milieu du tumulte du désert, avaient-elles pour lui un sens prophétique ? Ces gémissements de la forêt qui semblait se débattre dans une lutte inégale, arrivaient-ils à son oreille comme un secret avertissement de Dieu, une solennelle révélation du sort final réservé aux races sauvages ? Je ne saurais le dire. Mais ses lèvres agitées paraissaient murmurer quelques prières, et tous ses traits étaient empreints d'une terreur superstitieuse.

        À cinq heures du matin, nous songeâmes au départ. Tous les Indiens des environs de Saginaw avaient disparu ; ils étaient partis pour aller recevoir les présents que leur font annuellement les Anglais, et les Européens se livraient aux travaux de la mois­son. Il fallut donc nous résoudre à repasser la forêt sans guide.
    L'entreprise n'était pas aussi difficile qu'on pourrait le croire. Il n'y a en général qu'un sentier dans ces vastes solitudes et il ne s'agit que de n'en pas perdre la trace pour arriver au but du voyage.

        À cinq heures du matin donc, nous repassâmes la Saginaw ; nous reçûmes les adieux et les derniers conseils de nos hôtes et, ayant tourné la tête de nos chevaux, nous nous trouvâmes seuls au milieu de la forêt. Ce n'est pas, je l'avoue, sans une impression grave que nous commençâmes à pénétrer sous ses humides profondeurs. Cette même forêt qui nous environnait alors s'étendait derrière nous jusqu'au Pôle et à la mer Pacifique. Un seul point habité nous séparait du désert sans bornes et nous venions de le quitter. Ces pensées au reste ne nous portèrent qu'à presser le pas de nos chevaux et au bout de trois heures nous arrivâmes auprès d'un wigwam abandonné et sur les bords solitaires de la rivière Cass. Une pointe de gazon qui s'avance sur le fleuve à l'ombre de grands arbres nous servit de table et nous nous mîmes à déjeuner, ayant en perspective la rivière dont les eaux limpides comme du cristal serpentaient à travers le bois.

        Au sortir du wigwam de Cass-River nous rencontrâmes plusieurs sentiers. On nous avait indiqué celui qu'il fallait prendre,

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