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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexis de Tocqueville
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rencontré d'hon­nêtes citadins qui nous disaient le, soir, tranquillement assis au coin de leur foyer : Chaque jour le nombre des Indiens va décroissant. Ce n'est pas cependant que nous leur fassions souvent la guerre, mais l'eau-de-vie que nous leur vendons à bas prix en enlève tous les ans plus que ne pourraient faire nos armes. Ce monde-ci nous appar­tient, ajoutaient-ils, Dieu, en refusant à ses premiers habitants la faculté de se civili­ser, les a destinés par avance à une destruction inévitable.
    Les véritables propriétaires de ce continent sont ceux qui savent tirer parti de ses richesses.

        Satisfait de son raisonnement, l'Américain s'en va au temple où il entend un ministre de l'Évangile lui répéter que les hommes sont frères et que l’être éternel qui les a tous faits sur le même modèle, leur a donné à tous le devoir de se secourir.

        Le 19 juillet à dix heures du matin, nous montâmes sur le bateau à vapeur l’Ohio, nous dirigeant vers Détroit. Une brise très forte soufflait du nord-ouest et donnait aux eaux du lac Érié toutes les apparences de l'agitation des vagues de l'Océan. A droite s'étendait un horizon sans bornes, à gauche nous serrions les côtes méridionales du lac dont souvent nous nous approchions jusqu'à la portée de la voix. Ces côtes étaient parfaitement plates et différaient de celles de tous les lacs que j'avais eu occasion de visiter en Europe. Elles ne ressemblaient pas non plus aux bords de la mer. D'im­menses forêts les ombrageaient et formaient autour du lac comme une ceinture épaisse et rarement interrompue. De temps en temps cependant le pays change tout à coup d'aspect. Au dé tour d'un bois on aperçoit la flèche élégante d'un clocher, des maisons éclatantes de blancheur et de propreté, des boutiques. Deux pas plus loin, la forêt primitive et en apparence impénétrable reprend son empire et réfléchit de nou­veau son feuillage dans les eaux du lac.

        Ceux qui ont parcouru les États-Unis trouveront dans ce tableau un emblème frappant de la société américaine. Tout y est heurté, imprévu ; partout l'extrême civili­sation et la nature abandonnée à elle-même se trouvent en présence et en quelque sorte face à face. C'est ce qu'on ne s'imagine point en France. Pour moi, dans mes illusions de voyageur - et quelle classe d'hommes n'a pas les siennes -je me figurais tout autre chose. J'avais remarqué qu'en Europe, l'état plus ou moins retiré dans lequel se trouvait une province ou une ville, sa richesse ou sa pauvreté, sa petitesse ou son étendue exerçaient une influence immense sur les idées, les mœurs, la civilisation tout entière de ses habitants et mettaient souvent la différence de plusieurs siècles entre les diverses parties du même territoire.

        Je m'imaginais qu'il en était ainsi à plus forte raison dans le Nouveau Monde et qu'un pays, peuplé d'une manière incomplète et partielle comme l'Amérique, devait présenter toutes les conditions d'existence et offrir l'image de la société à tous les âges. L'Amérique, suivant moi, était donc le seul pays où l'on pût suivre pas à pas toutes les transformations que l'état social fait subir à l'homme et où il fût possible d'apercevoir comme une vaste chaîne qui descendit d'anneau en anneau depuis l'opu­lent patricien des villes jusqu'au sauvage du désert. C'est là, en un mot, qu'entre quelques degrés de longitude je comptais trouver encadrée l'histoire de l'humanité tout entière.

        Rien n'est vrai dans ce tableau. De tous les pays du monde l'Amérique est le moins propre à fournir le spectacle que j'y venais chercher. En Amérique, plus encore qu'en Europe, il n'y a qu'une seule société. Elle peut être riche ou pauvre, humble ou brillante, commerçante ou agricole, mais elle se compose partout des mêmes éléments. Le niveau d'une civilisation égale a passé sur elle. L'homme que vous avez laissé dans les rues de New York, vous le retrouvez au milieu des solitudes presque impénétrables : même habillement, même esprit, même langue, mêmes habitudes, mêmes plaisirs. Rien de rustique, rien de naïf, rien qui sente le désert, rien même qui ressemble à nos villages. La raison de ce singulier état de choses est facile à com­prendre. Les portions de territoires les plus anciennement et les plus complètement peuplées sont parvenues a un haut degré de civilisation, l'instruction y a

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