Toulouse-Lautrec en rit encore
et ses hommes avaient procédé à l’arrestation de Ramón Montana dans sa somptueuse maison, sur les hauteurs de Port-Vendres. L’homme, avec son fier accent catalan, avait d’abord nié tout lien avec Dupuy. Il prétendait ne rien savoir de ce garçon un peu maniéré et atteint de surdité qui lui servait de mouchard. Le commissaire avait alors utilisé la manière forte : perquisition en compagnie de la brigade financière de Perpignan accompagnée d’un mandat d’arrêt international, eu égard à son statut d’Andorran.
Le registre de police de l’antiquaire comportait une série de manques au vu du stock impressionnant de meubles et d’objets entreposés dans son arrière-boutique. Le mandat de perquisition, ordonné par le parquet de Toulouse, s’étendait au fonds de commerce, mais aussi aux biens immobiliers de Montana.
— Sa villa de Port-Vendres pouvait rivaliser avec les plus grands palais vénitiens, avait raconté Coustot à un Séraphin tout ébaubi. Des miroirs en bois sculpté et doré, époque Louis XV, rivalisaient avec des girandoles en baccarat. Des plafonds descendaient, je vous demande de me croire, des lustres en bronze et cristal, dont certains en verre de Murano ! Des toiles de maîtres, très anciennes mais aussi contemporaines, un Dalí, deux Picasso, un Matisse, tapissaient les murs. Sur des commodes en bois de rose, coiffées de marbre rouge, reposaient des candélabres ciselés, des pendules, des vases Lalique, des Gallé, vous auriez vu ça, Cantarel ! Un vrai musée…
Avec une jubilation peu contenue, le policier dressait au conservateur de Chaillot un inventaire précis du mobilier et des œuvres d’art que ce fameux Montana avait su amasser avec toute l’orthodoxie que l’on pouvait supposer…
— Son appartement de l’avenue Meritxell en Andorre n’était pas moins pourvu. Il était couvert de panneaux en bois de l’école hollandaise, de dessins d’Ingres, de toiles de Vlaminck, de Vuillard, de Poliakoff, d’Henri Martin…
À l’énoncé de cette énumération, Séraphin n’en croyait pas ses oreilles.
— Mais, je vous rassure, Cantarel, dans toute cette galerie de tableaux, un tiers étaient des faux ! À s’y méprendre. Le Catalan avait son réseau de peintres faussaires : des artistes russes qu’il faisait venir de Moscou ou de Saint-Pétersbourg. Une main-d’œuvre venue de l’Est, extrêmement douée et si peu chère… Souvenez-vous, Théo avait attiré notre attention sur ces sombres et si coupables pratiques…
— Ce qui signifie, Coustot, si je vous suis bien, que les toiles que vous avez retrouvées dans son appartement d’Andorre-la-Vieille étaient, pour ce qui est des authentiques, des œuvres récemment volées, et pour les copies, des tableaux dont les originaux le seraient sous peu…
— C’est tout à fait cela ! C’est ainsi qu’a disparu, lors d’un premier cambriolage, totalement passé inaperçu aux yeux du musée Lautrec, le Tapié de Céleyran , grâce à la complicité de Dupuy. La seconde fois, les hommes de Montana ont opéré sans pratiquer l’« échange ». Vous saisissez ?
— Totalement ! confessa le conservateur, frappé par la machiavélique ingéniosité des trafiquants d’art.
Et le policier à l’embonpoint rassurant de poursuivre son récit :
— Couderc et moi l’avons cuisiné pendant plus de quarante-huit heures. Ce retors nous lâchait des infos au compte-gouttes. Il prétendait bénéficier de protection. Un de ses fidèles clients était, disait-il, un ministre très connu. À chaque fois, il minimisait sa participation dans des affaires qu’il savait aussi douteuses que juteuses. Cet homme méprise l’art. C’est un vénal, pas même un esthète ! De tout objet, il se sert comme d’une marchandise négociable. Vous verriez sa dégaine ! Chemise tahitienne, chevalière et chaîne en or, bronzé aux UV, les cheveux gominés plaqués en arrière, avec deux fiottes pour valets. C’est vraiment un personnage grotesque, une caricature de caricature !…
— J’imagine, soupira Cantarel en esquissant un sourire entendu.
Les deux hommes avaient choisi une arrière-salle du Pontié pour évoquer l’affaire qui ferait, à coup sûr, la manchette de tous les journaux le lendemain.
Plongée dans un seau à glace en argent, une bouteille au muselet signé Moët & Chandon séparait le policier du conservateur en chef.
Dans deux splendides coupes en cristal, du plus
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