Toulouse-Lautrec en rit encore
aînée, Madeleine, qui souhaitait que son « Petit Paul » repose en paix en un lieu d’où elle ne serait pas éloignée.
Cette femme de militaire n’avait pas cru à la version des policiers. Son Paul était incapable d’une chose pareille. Lui qui était la gentillesse et la bonté incarnées ! De l’avis même de Margot, la voisine de Dupuy, elle ne tarderait pas à mettre en vente la maison du Puits-Vert. « Même qu’elle était prête à la brader pour ne jamais plus avoir à revenir à Albi ! »
Bonne conseillère, Mme Cantarel suggéra à Dorléac d’embaucher sa fille quelques semaines comme secrétaire, le temps d’organiser le recrutement d’une nouvelle collaboratrice.
— Je ne veux pas qu’on m’accuse de népotisme ! protesta le conservateur.
— C’est juste l’affaire de quelques jours. Vous avez besoin d’une présence fiable à vos côtés. Tout va finir par rentrer dans l’ordre, Jean, croyez-moi !
Hélène avait cette faculté inouïe de contourner avec habileté les obstacles. La douceur de sa voix était un baume qui agissait efficacement sur les hommes. Seule la toquade de « son » Théo pour Cécile Dorléac avait fait naître en elle une pointe de jalousie qu’elle ne parvenait pas à dissimuler.
— Depuis le suicide de Labatut, la mairie a reçu pléthore de candidatures, poursuivit Dorléac. L’adjoint au maire veut placer un de ses neveux qui a eu trois doigts de pied sectionnés quand il était bûcheron dans les monts de Lacaune. Il boite un peu, mais c’est un garçon, argue-t-il, au-dessus de tout soupçon.
— Si M. Coustot était là, il vous dirait, cher ami, que Paul Dupuy était aussi au-dessus de tout soupçon !
— Vous avez raison, Hélène, je crois que je manque singulièrement de perspicacité et de discernement. Je pense même que, d’ici peu, je vais renoncer à mes fonctions…
— Allons, allons, Jean ! Si Séraphin apprend que vous nourrissez pareilles intentions, il en déduira que vous ne méritez pas sa confiance. Songez que c’est mon mari qui a personnellement convaincu le ministre de maintenir l’exposition Monet en dépit des événements ! Il a engagé sa parole…
C’est alors que Théodore Trélissac frappa à la porte du bureau.
— Oh, Théo ! s’exclama Hélène. Vous tombez bien ! M. Dorléac et moi-même souhaitions avoir votre avis. J’étais en train de proposer à Jean d’embaucher Cécile trois ou quatre semaines, le temps de recruter celle qui devra prendre la place de l’« irremplaçable » Mlle Combarieu !
— Soyez charitable avec moi, Hélène, je vous en prie ! supplia le conservateur, la mine toujours accablée.
— Elle a toutes les compétences requises, souligna Théo.
Jean Dorléac avait renoncé au fauteuil de son bureau et se tenait à présent près de la fenêtre. D’un regard las, il observait Micheline Labatut chasser de son balai en paille de riz les feuilles mortes qu’avait abandonnées l’hiver dans la cour pavée du palais.
— Il me reste donc à trouver un successeur à ce pauvre Labatut, soupira Dorléac.
Théo se caressa le menton avant de suggérer :
— Maintenant que vous avez écarté du musée son cortège de brebis galeuses, peut-être pouvez-vous pratiquer, monsieur Dorléac, une forme de promotion en interne !
— À qui pensez-vous ? demanda le quinquagénaire au front humide.
— Réfléchissez… Il y a dans ce musée des hommes qui se sont révélés plus intègres que ne le laissait supposer leur passé…
Théo tourna aussitôt les talons.
— Pardonnez-moi, mais j’ai promis à Cécile un café liégeois au… Pontié !
À peine Jean et Hélène croisaient-ils leur regard quelque peu décontenancé que Théo s’était déjà volatilisé du bureau.
— Ce garçon est décidément incorrigible ! lâcha l’archéologue en jean.
— Mais tellement efficace et si charmant ! ajouta Dorléac, tout juste distrait par l’opulente poitrine que laissait échapper Micheline Labatut de son corsage à pois vert.
À son tour, Mme Cantarel se pencha à la fenêtre.
— Quelle allumeuse, tout de même !
— Vous savez, Hélène, ce que je regretterai le plus quand cette garce aura définitivement quitté sa loge ?
— Non, répondit la spécialiste des peintures infernales de la cathédrale d’Albi.
— Les odeurs exquises de sa cuisine, sur le coup de midi…
Aux premières lueurs de l’aube, Coustot
Weitere Kostenlose Bücher