Toute l’histoire du monde
nous redeviendrions des animaux ; d’où le danger des idéologies délirantes qui contestent cette relation-là.
À cause du langage, les mutations de l’humanité ne sont plus « génétiques », mais « culturelles ». Elles ne nécessitent plus des millénaires, seulement des années. À cause du langage, l’espèce humaine a explosé sur la Terre et s’est transformée avec une rapidité inconnue jusque-là. L’espèce humaine n’est plus seulement « naturelle », elle est « culturelle ». Certes, les mutations génétiques ont continué avec leur rythme lent. Ainsi, depuis deux cent mille ans, les couleurs de peau ont changé. Dans les pays très ensoleillés comme l’Afrique ou l’Inde du Sud, la sélection naturelle a favorisé la survie des mutants à mélanine (peau noire), les peaux blanches étant au contraire avantagées dans les pays nordiques où les Noirs sont facilement anémiés. Mais ces mutations sont superficielles à tel point que, lorsqu’on découvre un squelette, on est incapable d’en déduire la couleur de la peau. On trouve des crânes allongés, « dolichocéphales », ou des têtes rondes, « brachycéphales », mais cela ne correspond en rien aux couleurs de la peau. Les premiers hommes étaient probablement « café au lait », ce que tendent à redevenir leurs descendants à cause des flux migratoires « United Colors of Benetton ».
Une mutation génétique plus intéressante est celle qui fit de la femme la plus belle femelle mammifère. En général, chez les mammifères, les mâles sont plus beaux que les femelles ; c’est vrai pour le lion comme pour le cerf. Chez l’homme, c’est l’inverse. Pourquoi ?
Parce que la sélection naturelle avait un problème contradictoire à résoudre. Il fallait que les femelles humaines aient un bassin plus étroit que celui des femelles quadrupèdes, afin de pouvoir courir debout, et échapper ainsi aux prédateurs. Mais il fallait aussi qu’elles aient un bassin assez large pour être capables d’accoucher. On sait que, en architecture, les chefs-d’œuvre sont souvent le produit de la solution d’exigences contradictoires. Il en fut ainsi pour l’architecture féminine, dont les courbes superbes en forme de guitare sont la résultante de deux nécessités opposées de notre espèce : courir vite et accoucher quand même.
Mais si les mutations génétiques ont continué à rythme lent, le propre de l’humanité fut la mutation culturelle à rythme accéléré par le langage.
Comment peut-on imaginer l’apparition du langage, et donc de l’humanité ? Nous savons que cela s’est produit en Afrique orientale il y a quelques centaines de milliers d’années.
Nous savons aussi que le climat de notre planète change au cours des âges. Il y a des changements réguliers : le cycle des périodes glaciaires et interglaciaires, qui couvre à peu près cent vingt mille ans. Pendant les périodes glaciaires, la Terre est plus froide, les glaciers couvrent le Middle West américain et descendent en Europe jusqu’en Belgique. Il n’y a pas de Sahara. Le niveau des mers est plus bas et l’on peut aller à pied d’Asie en Amérique (pas de détroit de Béring) et de France en Angleterre (pas de pas de Calais).
Nous vivons actuellement une période plus chaude, « interglaciaire ». (L’interglaciaire connaît lui aussi des changements climatiques, mais plus modérés ; nous en reparlerons.)
La dernière période glaciaire s’est achevée il y a treize ou quatorze mille ans. Le surgissement de l’humanité est peut-être dû à un événement climatique brutal, survenu il y a plusieurs centaines de milliers d’années.
Imaginons une canicule ou une sécheresse qui dure vingt ans. Les forêts brûlent et disparaissent. Les primates, animaux de forêt, cueilleurs de fruits, se retrouvent dans la savane, et ce pendant la durée d’une vie. Dans les arbres, ils consommaient fruits ou feuilles, de la viande exceptionnellement quand un écureuil leur tombait dans les bras. Dans les savanes, on peut penser que la plupart sont morts de faim ou se sont repliés dans les forêts équatoriales. Mais un groupe a su inventer la chasse. Certes, beaucoup de mammifères sont des chasseurs, mais les primates sont des cueilleurs ; ils n’ont pas la chasse dans leur code génétique. Alors ils se sont mis debout pour voir au-dessus des herbes, ce dont ils avaient la capacité mais qu’ils ne pratiquaient
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