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Toute l’histoire du monde

Titel: Toute l’histoire du monde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Claude Barreau , Guillaume Bigot
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Les immémorants
    En France, il y a un siècle, ceux qui savaient lire savaient aussi se situer dans l’espace et dans le temps. Un manuel scolaire, rédigé par deux éminents professeurs, le « Malet-Isaac », énonçait les repères historiques et géographiques connus des gens qui avaient dépassé le certificat d’études. Il n’en est plus ainsi. Les Français, et d’ailleurs tous les Occidentaux, sont devenus, pour la plupart, des hommes sans passé, des « immémorants » (ce mot, un néologisme, décrit assez la situation). Par un paradoxe ironique, on n’a jamais autant parlé du « devoir de mémoire » qu’en ces temps d’oubli, car il est bien connu que l’on insiste sur une qualité seulement quand elle est oubliée.
    Il y a peu, on entendait encore les Français grommeler quand ils étaient mécontents : « On a déjà fait la Révolution, on pourrait la refaire », manifestant ainsi qu’ils étaient conscients d’une belle continuité historique. Que trouverait-on dans la tête de leurs enfants (du moins de ceux qui n’ont pas fait Normale) ? Un chevalier du Moyen Âge en armure, chevauchant en guise de cheval une fusée interplanétaire, dans un lieu indéterminé !
    Un film à épisodes, Le Seigneur des Anneaux , épopée qui ne se déroule nulle part, témoigne par son succès même de l’ignorance générale. Ce n’est pas la faute de nos contemporains si on a négligé de les renseigner sur les faits et sur les lieux. Une mode contraignante a voulu remplacer l’étude de l’histoire chronologique par celle de thèmes qui chevauchent les siècles, du genre « les moyens de transport à travers les âges ». Quant aux lieux, ils se valent tous pour des techniciens pressés qui ne veulent plus tenir compte des sites, les villes actuelles alignant partout les mêmes tours de verre. Dans ce tohu-bohu, les paysages s’estompent, les cultures se dissolvent, les histoires collectives s’effacent.
    Ce salmigondis fait disparaître ce qui permettait aux individus d’effectuer l’inventaire de leur héritage.
    Ajoutez à cela un mépris boursier du long terme et le culte de l’« immédiateté », et vous comprendrez que notre modernité fabrique davantage de consommateurs-zappeurs interchangeables et de « fils de pub » que de citoyens responsables, désireux de comprendre et de construire.
    Or, qu’on y prenne garde : le rôle majeur d’une civilisation est de transmettre un dépôt à ses enfants, à charge pour ces derniers de contester, de dilapider ou de faire fructifier cet héritage.
    Quand le jeune israélite, dans la nuit de Pâque, interroge rituellement les adultes qui l’entourent sur le sens du rite célébré, les adultes, non moins rituellement, lui répondent par le récit de la libération du peuple juif hors de l’esclavage égyptien. Il s’agit là, exprimé d’une manière saisissante dans le repas pascal du judaïsme, de l’acte fondateur de l’éducation. Ce n’est pas pour rien qu’un Pol Pot, au Cambodge, a voulu détacher radicalement les Khmers de leur passé : il savait ce qu’il faisait.
    Car, sans cette interrogation du disciple au maître, sans cette transmission des maîtres aux nouveaux venus, il ne subsiste plus de civilisation, mais seulement de la barbarie ; il ne subsiste même plus d’espèce humaine, ce que nous soulignerons en évoquant la préhistoire.
    Cette conviction nous a poussés à tenter de raconter l’histoire des hommes. Nous savons que d’innombrables professionnels très érudits sur telle ou telle question écrivent quantité d’ouvrages, publiés chaque année (par exemple chez notre éditeur) et pour la plupart excellents ; mais ces historiens traitent de problèmes pointus, d’époques précises, de personnages isolés. Et nos contemporains – qui n’ont pas appris à l’école la chronologie – ne trouvent aucun équivalent actuel du « Malet-Isaac » (il est vrai, réédité en poche, mais ce manuel supposait connu un enseignement d’histoire qui n’est plus dispensé). Aujourd’hui, les gens ont des difficultés pour comparer les questions entre elles, pour se situer eux-mêmes dans la chaîne des temps. Or, sans point de comparaison, il n’est plus de problèmes compréhensibles, nous explique Malraux dans ses Anti-mémoires. « Penser, c’est comparer », écrit-il.
    Est-il possible en effet de déchiffrer l’actualité sans références historiques, les événements les plus

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