Tragédies Impériales
crypte des Capucins, où elle va reposer auprès de son fils et de son beau-frère, les deux autres victimes de la malédiction de la comtesse Bathyany.
Quant à Luccheni, qui, non seulement ne montra aucun regret de son crime, mais encore fit preuve durant le procès de la plus révoltante satisfaction, il devait être condamné, selon la loi suisse, à la prison perpétuelle. Mais il ne put supporter, lui qui se considérait comme un héros romain, le régime des condamnés de droit commun et, au bout de deux années, se pendit dans sa prison à l’aide de sa ceinture…
LA SANGLANTE
COURONNE DU MEXIQUE
Le roman tragique
de Charlotte et Maximilien
Le tour d’Europe d’un archiduc
Au premier coup de minuit sonné à l’horloge de la Hofburg, Johann Strauss frappa son pupitre de sa baguette et l’orchestre cessa de jouer. Le bal s’arrêta. Le Mardi gras venait de prendre fin et, avec les premières minutes du jour nouveau, commençait le Carême. Les couples se séparèrent, les femmes sur une révérence, les hommes sur un salut protocolaire, et l’archiduchesse Sophie se leva. Toutes les dames qui somnolaient plus ou moins, bien droites sur leurs chaises le long des murs de la salle de danse, en firent autant. Réveillée en sursaut, la comtesse Dietrichstein qui, elle, dormait à poings fermés et même ronflait quelque peu, sauta sur ses pieds avec un petit cri d’effroi.
Le face-à-main orné de diamants de l’archiduchesse s’arrêta tour à tour sur chacun de ses quatre fils : l’empereur François-Joseph, qui reconduisait sa danseuse, la séduisante comtesse Ugarte, les archiducs Charles-Louis et Louis-Victor, qui en faisaient autant, et aussi le second fils, l’archiduc Maximilien, le plus grand des quatre. Maxl, comme on l’appelait familièrement, semblait avoir beaucoup de peine à prendre congé de sa danseuse, une belle jeune fille blonde, la comtesse von Linden, qui était fille de l’ambassadeur du Wurtemberg. Elle était ravissante ce soir, dans une robe de tulle blanc toute simple sur laquelle s’étalait un magnifique bouquet de fleurs d’oranger qui avait fait jaser les commères toute la soirée. Mais l’archiduchesse toussota et le jeune homme, rappelé aux convenances, consentit enfin à ramener la jeune fille à sa mère.
— À bientôt, lui chuchota-t-il. Et merci d’avoir porté mon bouquet ce soir…
Cette phrase innocente alla malheureusement tomber dans l’oreille du gouverneur du prince, le comte de Bombelles, qui exerçait aussi l’office de maître des cérémonies et allait en faire toute une histoire.
Bombelles était un vieillard quinteux, grognon, tatillon, et d’autant plus austère que sa vie n’avait pas toujours été irréprochable. Il avait été l’amant d’abord puis le troisième mari de la sentimentale Marie-Louise, veuve de Napoléon I er puis du général Neipperg. Il est vrai qu’en observant le maigre vieillard, ridé comme une pomme séchée, on éprouvait quelque peine à croire qu’il eût pu faire éclater de dévorantes passions. Mais n’ayant plus le droit d’être un homme à femmes, Bombelles se vengeait en empoisonnant l’existence de ceux qui en avaient encore la possibilité. Et le protocole était devenu son unique raison d’être. À peine les invités retirés, il demanda audience à l’archiduchesse et lui rapporta ce qu’il avait entendu.
Une heure plus tard, l’empereur était informé. Il refusa d’abord de prendre la chose au sérieux.
— Croyez-vous vraiment que ce soit si grave, ma mère ? demanda François-Joseph en souriant. Offrir un bouquet à une jeune fille n’est pas un crime.
— Si, quand on est archiduc d’Autriche et que le bouquet est en fleurs d’oranger. Voyons, Franz, comment ne comprends-tu pas que cette petite Linden va s’imaginer une foule de choses folles ? Je suis certaine qu’elle se voit déjà archiduchesse. Il faut faire quelque chose. Maxl est complètement fou.
Cette histoire ennuyait l’empereur, qui aimait beaucoup son frère. Sensible lui-même au charme féminin comme tout jeune homme normalement constitué, il lui trouvait beaucoup de circonstances atténuantes : la petite Linden était charmante. Et à vingt-trois ans, même lorsque l’on est empereur, il est difficile d’être sévère. Mais François-Joseph connaissait suffisamment sa mère pour savoir qu’elle le harcèlerait jusqu’à ce qu’il ait pris une décision conforme à ses propres
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