Tragédies Impériales
Paula son unique amour.
Il descendit les marches en courant, s’arrêta à la lisière de la piste de danse. L’exquise apparition s’était évanouie dans le flot des danseurs, emportée aux bras d’un homme grand et mince, vêtu d’un frac constellé d’ordres et de rubans.
Un bref instant, il la revit, posa une main nerveuse sur le bras de son voisin, un diplomate, dont il ne regarda même pas le visage :
— Cette jeune femme, en robe noire, n’est-ce pas la comtesse Linden ? Tenez, voyez, là… près des glaces, avec ce diadème de diamants.
L’interpellé parut un peu surpris. La pâleur du prince était extrême :
— La comtesse Linden ? Je ne crois pas, Altesse… La dame dont vous parlez est la baronne von Bulow. Elle est d’ailleurs avec son mari.
— La baronne von Bulow ? Vous êtes certain ?
— Tout à fait, Altesse. Ils sont mariés depuis peu. Mais j’y pense… je crois bien me souvenir en effet que le nom de jeune fille de la baronne était von Linden. Son père était un collègue du mien et nous servions ensemble…
Il pouvait continuer ainsi durant des heures, Maximilien ne l’écoutait plus. Les yeux agrandis, tout près des larmes, il regardait la gracieuse silhouette de la jeune femme que, maintenant, il voyait parfaitement. Soudain, par-dessus l’épaule du mari, il rencontra son regard, vit ce regard s’agrandir tandis que la bouche fraîche se contractait. Paula fit un geste, comme pour tendre une main vers lui mais elle se reprit, baissa les yeux qu’une lourde tristesse envahissait. Le mouvement de la valse l’engloutit à nouveau dans la masse des danseurs.
Alors, lentement, Maximilien revint vers le trône, remonta les marches. Le roi dormait toujours, mais le maître des cérémonies se pencha respectueusement vers le prince :
— Avec laquelle des jeunes princesses votre Altesse impériale souhaite-t-elle danser ?
Maximilien hocha la tête.
— Ce jour, dit-il, est l’anniversaire d’une perte particulièrement douloureuse, je ne saurais danser. Excusez-moi !…
Il s’éloigna peu après, laissant le malheureux maître des cérémonies se creuser désespérément la tête pour découvrir ce que pouvait être cet anniversaire si pénible pour les Habsbourg.
Le lendemain même, Maxl quittait Berlin et, désormais incapable de poursuivre ce voyage dont il était las, il reprit aussitôt le chemin de Vienne. Il y arriva un soir, sous une pluie battante, et quand la voiture qui le ramenait au vieux palais impérial passa devant certaine fleuriste du Ring, l’archiduc tourna la tête et ferma les yeux. Une larme se perdit dans la soyeuse barbe blonde qu’avait si fort admirée Charlotte. Une larme que l’obscurité cacha pudiquement.
Ce retour ne fut pas, tant s’en faut, salué par des cris d’allégresse de la part de sa mère :
— Je ne sais plus que faire de lui, dit-elle un soir alors que la famille était réunie. Il est revenu de ce voyage plus triste et plus sombre que je ne l’ai jamais vu. Il demeure des journées entières enfermé dans son appartement, sans en sortir, sans voir personne.
L’empereur ne répondit pas. Debout auprès d’une fenêtre, dans la petite tenue d’officier général qu’il affectionnait, il tambourinait contre une vitre en regardant, au-dehors, la pluie noyer la cour. Ce fut l’impératrice qui répondit à sa belle-mère :
— Il a revu la comtesse von Linden à Berlin, dit-elle doucement. Cela lui a fait beaucoup de mal.
L’archiduchesse s’assit d’un coup et fixa sa belle-fille d’un air horrifié :
— Grand Dieu, Sissi, que dis-tu là ? Il l’a revue… mais c’est abominable.
Sissi haussa les épaules.
— Oh ! non… même pas. Elle est mariée et vous n’avez plus rien à craindre. Mais Maxl a très mal. Je crois qu’il faut le laisser tranquille pour le moment. Sa peine s’endormira d’elle-même.
François-Joseph se détourna, vint lentement se placer entre sa mère et sa femme :
— Sissi a raison, mère. Laissons-le se remettre et voyons comment les choses tourneront.
— Le laisser tranquille, le laisser tranquille… comme tu y vas. Le temps passe, Franz… et ton frère ne rajeunit pas.
— Vingt-quatre ans, mère, ce n’est pas un bien grand âge. Laissons-lui six mois ou un an de réflexion.
— C’est bon, soupira Sophie, comme tu voudras. Après tout, je suis lasse de me donner tant de mal pour lui. Laissons-le donc à ses rêves. Mais
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