Traité du Gouvernement civil
d'Israël.
110. Soit donc qu'une famille, par degrés, ait formé une communauté, et que l'autorité paternelle ayant été continuée, et ayant passé dans l'aîné, de sorte que chacun, à son tour, l'ayant exercée, chacun aussi s'y était soumis tacitement, surtout puisque cette facilité, cette égalité, cette bonté qui se trouvaient dans ceux qui composaient une même famille, empêchait que personne ne pût être offensé, jusqu'à ce que le temps eût confirmé cette autorité, et fondé un droit de succession, soit que diverses familles, ou les descendants de diverses familles, que le hasard, le voisinage, ou les affaires avaient ramassées, se soient, par ce moyen, jointes en société; le besoin d'un général, dont la conduite et la valeur pût les défendre contre leurs ennemis dans la guerre, et la grande confiance qu'inspirait naturellement l'innocence et la sincérité de ces pauvres, mais vertueux temps, tels qu'ont été presque tous ceux qui ont donné naissance aux gouvernements qui ont été jamais dans le monde, ont engagé les premiers instituteurs des communautés à remettre généralement le gouvernement entre les mains d'un seul. Le bien public, la sûreté, le but des communautés obligèrent d'en user de la sorte, dans l'enfance, pour ainsi dire, des sociétés et des États. Et l'on ne peut disconvenir que si l'on n'avait pratiqué cela, les nouvelles, les jeunes sociétés n'auraient pu subsister longtemps. Sans ces pères sages et affectionnés, dont nous avons parlé tant de fois, sans les soins de ces gouverneurs établis, tous les gouvernements seraient bientôt fondus, et auraient été détruits dans la faiblesse et les infirmités de leur enfance; le Prince et le peuple seraient péris tous ensemble dans peu de temps.
111. Le premier âge du monde était un âge d'or. L'ambition, l'avarice, amor sceleratus habendi, les vices qui règnent aujourd'hui, n'avaient pas encore corrompu les coeurs des hommes, dans ce bel âge, et ne leur avaient pas donné de fausses idées au sujet du pouvoir des Princes et des gouverneurs. Comme il y avait beaucoup plus de vertu, les gouverneurs y étaient beaucoup meilleurs, et les sujets moins vicieux. En ce temps-là, les gouverneurs et les magistrats, d'un côté, n'étendaient pas leur pouvoir et leurs privilèges pour opprimer le peuple, ni de l'autre, le peuple ne se plaignait point des privilèges et de la conduite des gouverneurs et des magistrats, et ne s'efforçait point de diminuer ou de réprimer leur pouvoir; ainsi, il n'y avait entre eux nulle contestation au sujet du gouvernement. Mais lorsque l'ambition, le luxe et l'avarice, dans les siècles suivants, ont voulu retenir et accroître le pouvoir, sans se mettre en peine de considérer comment et pour quelle fin il avait été commis; et que la flatterie s'y étant mêlée, a appris aux Princes à avoir des intérêts distincts et séparés de ceux du peuple ; on a cru qu'il était nécessaire d'examiner avec plus de soin l'origine et les droits du gouvernement; et de tâcher de trouver des moyens de réprimer les excès et de prévenir les abus de ce pouvoir, qu'on avait, pour son propre bien, confié à d'autres, et qu'on voyait pourtant n'être employé qu'à faire du mal à ceux qui l'avaient remis [8] .
112. Ainsi nous voyons combien il est probable que les hommes, qui étaient naturellement libres, et qui, de leur propre consentement, se sont soumis au gouvernement de leurs pères, ou se sont joints ensemble, pour faire de diverses familles un seul et même corps, ont remis le gouvernement entre les mains d'un seul, sans limiter, par des conditions expresses, ou régler son pouvoir, qu'ils croient être assez en sûreté, et devoir conserver assez sa justice et sa droiture dans la probité et dans la prudence de celui qui avait été élu. Il ne leur était jamais monté dans l'esprit que la monarchie fût, jure divino, de droit divin; on n'avait jamais entendu parler de rien de semblable avant que ce grand mystère eût été révélé par la Théologie des derniers siècles. Ils ne regardaient point non plus le pouvoir paternel comme un droit à la domination, ou comme le fondement de tous les gouvernements. Il suffit donc d'être convaincu que les lumières que l'histoire nous peut fournir sur ce point, nous autorisent à conclure que tous les commencements paisibles des gouvernements ont eu pour cause le consentement des peuples. Je dis
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