Traité du Gouvernement civil
les commencements paisibles, parce que j'aurai occasion, dans un autre endroit, de parler des conquêtes, que quelques-uns estiment être des causes du commencement des gouvernements.
113. L'autre objection que je trouve être faite contre le commencement des sociétés politiques, tel que je l'ai représenté, est celle-ci : que tous les hommes étant nés sous quelque gouvernement, il est impossible qu'aucun d'eux ait jamais été libre, ait jamais eu la liberté de se joindre à d'autres pour en commencer un nouveau, ou qu'il ait jamais pu ériger un légitime gouvernement. Si ce raisonnement est juste, je demande comment sont devenues légitimes les monarchies dans le monde? Car, si quelqu'un peut me montrer un homme, dans quelque siècle, qui ait été en liberté de commencer une monarchie légitime, je lui en montrerai dix autres, qui, dans le même temps, auront eu la liberté et le pouvoir de s'unir, et de commencer un nouveau gouvernement sous la forme royale, ou sous quelque autre forme. N'est-ce pas une démonstration évidente, que si quelqu'un né sous la domination d'un autre, a été assez libre pour avoir droit de commander aux autres, dans un empire nouveau et distinct, tous ceux qui sont nés sous la domination d'autrui, peuvent avoir été aussi libres, et être devenus, par la même voie, les gouverneurs ou les sujets d'un gouvernement distinct et séparé? Et ainsi, par le propre principe de ceux qui font l'objection, ou bien tous les hommes sont nés libres à cet égard, ou il n'y a qu'un seul légitime Prince, et un seul gouvernement juste dans le monde? Qu'ils aient la bonté de nous marquer et indiquer simplement quel il est; je ne doute point que tout le monde ne soit d'abord disposé à lui faire hommage, à s'y soumettre, et à lui obéir.
114. Quoique cette réponse, qui fait voir que l'objection jette ceux qui la proposent dans les mêmes difficultés où ils veulent jeter les autres, puisse suffire; je tâcherai, néanmoins, de mettre encore mieux dans tout son jour la faiblesse de l'argument des adversaires.
Tous les hommes, disent-ils, sont nés sous un gouvernement; et, par cette raison, ils ne sont point dans la liberté d'en instituer aucun nouveau. Chacun naît sujet de son père ou de son Prince, et par conséquent chacun est dans une perpétuelle obligation de sujétion et de fidélité. Il est clair que jamais les hommes n'ont considéré cette sujétion naturelle dans laquelle ils soient nés, à l'égard de leurs pères ou à l'égard de leurs princes, comme quelque chose qui les obligeât, sans leur propre consentement, à se soumettre à eux ou à leurs héritiers.
115. Il n'y a pas dans l'Histoire, soit sacrée, soit profane, de plus fréquents exemples que ceux des gens qui se sont retirés de l'obéissance et de la juridiction sous laquelle ils étaient nés, et de la famille ou de la communauté dans laquelle ils avaient pris naissance, et avaient été nourris, et qui ont établi de nouveaux gouvernements en d'autres endroits. C'est ce qui a produit un si grand nombre de petites sociétés au commencement des siècles, lesquelles se répandirent peu à peu en différents lieux, et se multiplièrent autant que l'occasion s'en présenta et qu'il se trouva de place pour les contenir; jusqu'à ce que les plus fortes engloutirent les plus faibles; et qu'ensuite les plus grands Empires étant tombés dans la décadence et ayant été, pour ainsi dire, mis en pièces, se sont partagés en diverses petites dominations. Or, toutes ces choses sont de puissants témoignages contre la souveraineté paternelle, et prouvent clairement que ce n'a point été un droit naturel du père passé à ses héritiers, qui a fondé les gouvernements dans le commencement du monde, puisqu'il est impossible, sur ce fondement-là, qu'il y ait eu tant de petits Royaumes, et qu'il ne devrait s'y être trouvé qu'une seule Monarchie universelle, s'il est vrai que les hommes n'aient pas eu la liberté de se séparer de leurs familles, et de leur gouvernement tel qu'il ait été, et d'ériger différentes communautés et d'autres gouvernements, tels qu'ils jugeaient à propos.
116. Telle a été la pratique du monde, depuis son commencement jusqu'à ce jour; et aujourd'hui ceux qui sont nés sous un gouvernement établi et ancien ont autant de droit et de liberté qu'on en a jamais eu et qu'ils en pourraient avoir s'ils étaient nés dans un désert, dont les
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