Traité du Gouvernement civil
dépouille entre les mains d'une société, consiste à user des moyens les plus propres, et que la nature permet, pour conserver ce qu'on possède en propre, et pour punir ceux qui violent les lois de la nature; en sorte qu'en cela on travaille le plus efficacement, et le plus raisonnablement qu'il est possible, à sa propre conservation, et à la conservation du reste des hommes. La fin donc, et le grand objet de ce pouvoir, lorsqu'il est entre les mains de chaque particulier, dans l'état de nature, n'étant autre chose que la conservation de tous ceux de la société, c'est-à-dire, de tous les hommes en général, lorsqu'il vient à passer et à résider entre les mains des magistrats et des Princes, il ne doit avoir d'autre fin, ni d'autre objet que la conservation des membres de la société sur laquelle ils sont établis, que la conservation de leurs vies, de leurs libertés, et de leurs possessions; et par une conséquence, dont la force et l'évidence ne peuvent que se faire sentir, ce pouvoir ne saurait légitimement être un pouvoir absolu et arbitraire à l'égard de leurs vies et de leurs biens, qui doivent être conservés le mieux qu'il est possible. Tout ce à quoi le pouvoir, dont il s'agit, doit être employé, c'est à faire des lois, et à y joindre des peines; et dans la vue de la conservation du corps politique, à en retrancher ces parties et ces membres seuls qui sont si corrompus, qu'ils mettent en grand danger ce qui est sain : si l'on infligeait des peines dans d'autres vues, la sévérité ne serait point légitime. Du reste, le pouvoir politique tire son origine de la convention et du consentement mutuel de ceux qui se sont joints pour composer une société.
172. En troisième lieu, le pouvoir despotique est un pouvoir absolu et arbitraire qu'un homme a sur un autre, et dont il peut user pour lui ôter la vie dès qu'il lui plaira. La nature ne peut le donner, puisqu'elle n'a fait nulle distinction entre une personne et une autre; et il ne peut être cédé ou conféré par aucune convention ; car, personne n'ayant un tel pouvoir sur sa propre vie, personne ne saurait le communiquer et le donner à un autre. Il n'y a qu'un cas où l'on puisse avoir justement un pouvoir arbitraire et absolu, c'est lorsqu'on a été attaqué injustement par des gens qui se sont mis en état de guerre, et ont exposé leur vie et leurs biens au pouvoir de ceux qu'ils ont ainsi attaqués. En effet, puisque ces sortes d'agresseurs ont abandonné la raison que Dieu a donnée pour régler les différends, qu'ils n'ont pas voulu employer les voies douces et paisibles, et qu'ils ont usé de force et de violence pour parvenir à leurs fins injustes, par rapport à ce sur quoi ils n'ont nul droit; ils se sont exposés aux mêmes traitements qu'ils avaient résolu de faire aux autres, et méritent d'être détruits, dès que l'occasion s'en présentera, par ceux qu'ils avaient dessein de détruire; ils doivent être traités comme des créatures nuisibles et brutes, qui ne manqueraient point de faire périr, si on ne les faisait périr elles-mêmes. Ainsi, les prisonniers pris dans une guerre juste et légitime, et ceux-là seuls, sont sujets au pouvoir despotique, qui, comme il ne tire son origine d'aucune convention, aussi n'est-il capable d'en produire aucune, mais est l'état de guerre continué. En effet, quel accord peut-on faire avec un homme qui n'est pas le maître de sa propre vie? Si on l'en rend une fois le maître, le pouvoir despotique et arbitraire cesse : car, celui qui est devenu le maître de sa personne et de sa vie, a droit sur les moyens qui peuvent la conserver. De sorte que, dès qu'un accord intervient entre un prisonnier de guerre et celui qui l'a en son pouvoir, l'esclavage, le pouvoir absolu, et l'état de guerre finissent.
173. La nature donne le premier des trois pouvoirs dont nous parlons; savoir, le pouvoir des parents, aux pères et aux mères, pour l'avantage de leurs enfants durant la minorité, pendant laquelle ils ne sont point capables de connaître et de gouverner ce qui leur appartient en propre; et, par ce qui appartient en propre, il faut entendre ici, aussi bien que dans tous les autres endroits de cet ouvrage, le droit de propriété qu'on a sur sa personne et sur ses biens. Un accord volontaire donne le second; savoir, le pouvoir politique, aux conducteurs et aux Princes, pour l'avantage de leurs sujets, en sorte que ces sujets puissent posséder en
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