Traité du Gouvernement civil
sûreté ce qui leur appartient en propre. Enfin, l'état de guerre donne le troisième, c'est-à-dire, le pouvoir despotique, aux Souverains qui se sont rendus maîtres des personnes et des biens de ceux qui avaient eu dessein de se rendre maîtres des leurs, et qui par là ont perdu le droit qu'ils avaient auparavant à ce qui leur appartenait en propre.
174. Si l'on considère la différente origine, la différente étendue, et les différentes fins de ces divers pouvoirs, on verra clairement que le pouvoir des pères et des mères est autant au-dessous du pouvoir des Princes et des Magistrats, que le pouvoir despotique excède ce dernier ; et que la domination absolue est tellement éloignée d'être une espèce de société civile, qu'elle n'est pas moins incompatible avec une société civile, que l'esclavage l'est avec des biens qui appartiennent en propre. Le pouvoir des parents subsiste, lorsque la minorité rend des enfants incapables de se conduire et de gouverner leurs biens propres; le pouvoir politique, lorsque les gens peuvent disposer de leurs biens propres; et le pouvoir despotique, lorsque les gens n'ont nuls biens propres.
<< Table des matières / Chapitre XVI >>
175. Les gouvernements n'ont pu avoir d'autre origine que celle dont nous avons parlé, ni les sociétés politiques n'ont été fondées sur autre chose que sur le consentement du peuple. Cependant, comme l'ambition a rempli le monde de tant de désordres, et a excité tant de guerres, qui font une si grande partie de l'histoire, on n'a guère fait réflexion à ce consentement, et plusieurs ont pris la force des armes pour le consentement du peuple, et ont considéré les conquêtes comme la source et l'origine des gouvernements. Mais les conquêtes sont aussi éloignées d'être l'origine et le fondement des États, que la démolition d'une maison est éloignée d'être la vraie cause de la construction d'une autre en la même place. A la vérité, la destruction de la forme d'un État prépare souvent la voie à une nouvelle; mais il est toujours certain, que sans le consentement du peuple, on ne peut jamais ériger aucune nouvelle forme de gouvernement.
176. Il n'y a personne qui demeurera d'accord qu'un agresseur, qui se met dans l'état de guerre avec un autre, et envahit ses droits, puisse jamais, par une injuste guerre, avoir droit sur ce qu'il aura conquis. Peut-on soutenir, avec raison, que des voleurs et des pirates aient droit de domination sur tout ce dont ils peuvent se rendre maîtres, ou sur ce qu'on aura été contraint de leur accorder par des promesses que la violence aura extorquées. Si un voleur enfonce la porte de ma maison, et que, le poignard à la main, il me contraigne de lui faire, par écrit, donation de mes biens, y aura-t-il droit pour cela? Un injuste conquérant, qui me soumet à lui par la force et par son épée, n'en a pas davantage. L'injure est la même, le crime est égal, soit qu'il soit commis par un homme qui porte une couronne, ou par un homme de néant. La qualité de celui qui fait tort, ou le nombre de ceux qui le suivent, ne change point le tort et l'offense, ou s'il le change, ce n'est que pour l'aggraver. Toute la différence qu'il y a, c'est que les grands voleurs punissent les petits pour tenir les gens dans l'obéissance; et que ces grands voleurs sont récompensés de lauriers et de triomphes, parce qu'ils sont trop puissants, en ce monde, pour les faibles mains de la justice, et qu'ils sont maîtres du pouvoir nécessaire pour punir les coupables. Quel remède puis-je employer contre un voleur qui aura percé ma maison? Appellerai-je aux lois pour avoir justice? Mais peut-être qu'on ne rend point justice, ou que je suis impotent et incapable de marcher. Si Dieu m'a privé de tout moyen de chercher du remède, il ne me reste que le parti de la patience. Mais, mon fils, quand il sera en état de se faire faire raison, pourra avoir recours aux lois; lui, ou son fils, peut relever appel, jusqu'à ce qu'il ait recouvré son droit. Mais ceux qui ont été conquis, ou leurs enfants, n'ont nul juge, ni nul arbitre sur la terre auquel ils puissent appeler. Alors ils doivent appeler au Ciel, comme fit Jephté, interjeter appel jusqu'à ce qu'ils aient recouvré le droit de leurs ancêtres, qui était d'avoir un pouvoir législatif établi sur eux, aux décisions duquel ils acquiesçaient, quand le plus grand nombre des personnes qui étaient revêtues de ce
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