Traité du Gouvernement civil
l'autorité du ; et, Roi sont toujours toutes deux en sûreté et à couvert ; par ce moyen, ni celui qui gouverne, ni le gouvernement ne sont exposés à quelques dangers.
207. En troisième lieu, supposons un gouvernement où la personne du principal Magistrat ne soit pas sacrée de la manière que nous venons de dire; il ne s'ensuit pas que, quoiqu'on puisse légitimement résister à l'exercice illégitime du pouvoir de ce Magistrat, on doive, sur le moindre sujet, mettre sa personne en danger, et brouiller le gouvernement. Car, lorsque la partie offensée peut, en appelant aux lois, être rétablie, et faire réparer le dommage qu'elle a reçu, il n'y a rien alors qui puisse servir de prétexte à la force, laquelle on n'a droit d'employer que quand on est empêché d'appeler aux lois; et rien ne doit être regardé comme une violence et une hostilité, que ce qui ne permet pas un tel appel. C'est cela précisément qui met dans l'état de guerre celui qui empêche d'appeler aux lois; et c'est ce qui rend aussi justes et légitimes les actions de ceux qui lui résistent. Un homme, l'épée à la main, me demande la bourse sur un grand chemin, dans le temps que je n'ai peut-être pas un sol dans ma bourse; je puis, sans doute, légitimement tuer un tel homme. Je remets, entre les mains d'un autre, cent livres, afin qu'il me les garde, tandis que je mets pied à terre. Quand ensuite je les lui redemande, il refuse de me les rendre, et met l'épée à la main pour défendre, par la force, ce dont il est en possession, et que je tâche de recouvrer. Le préjudice que ce dernier me cause est cent fois, ou peut-être mille fois plus grand que celui qu'a eu dessein de me causer le premier, c'est-à-dire, ce voleur que j'ai tué avant qu'il m'eût fait aucun mal réel. Cependant, je puis, avec justice, tuer l'un, et je ne saurais légitimement blesser l'autre. La raison de cela est palpable : c'est que l'un usant d'une violence qui menace ma vie, je ne puis avoir le temps d'appeler aux lois pour la mettre en sûreté; et quand la vie m'aurait été ôtée, il serait trop tard pour recourir aux lois, lesquelles ne sauraient me rendre ce que j'aurais perdu, et ranimer mon cadavre. Ce serait une perte irréparable, que les lois de la nature m'ont donné droit de prévenir, en détruisant celui qui s'est mis avec moi dans un état de guerre, et qui me menace de destruction. Mais dans l'autre cas, ma vie n'étant pas en danger, je puis appeler aux lois, et recevoir satisfaction au sujet de mes cent livres.
208. En quatrième lieu, si un Magistrat appuyait de son pouvoir des actes illicites, et qu'il se servit de son autorité pour rendre inutile le remède permis et ordonné par les lois, il ne faudrait pourtant point user du droit qu'on a de résister; il ne faudrait point, dis-je, à l'égard même d'actes manifestes de tyrannie, user d'abord de ce droit, et troubler le gouvernement pour des sujets de peu d'importance. Car, si ce dont il est question ne regarde que quelques particuliers, bien qu'ils aient droit de se défendre, et de tâcher de recouvrer par force ce qui, par une force injuste, leur a été ravi, néanmoins le droit qu'ils ont de pratiquer cela, ne doit pas facilement les engager dans une contestation, dans laquelle ils ne pourraient que périr; étant aussi impossible à une personne, ou à peu de personnes, de troubler et renverser le gouvernement, lorsque le corps du peuple ne s'y croit pas intéressé, qu'il l'est à un fou et à un homme furieux, ou à un homme opiniâtre et mécontent, de renverser un État bien affermi; le peuple est aussi peu disposé à suivre les uns que les autres.
209. Mais si le procédé injuste du Prince ou du Magistrat s'est étendu jusqu'au plus grand nombre des membres de la société, et a attaqué le corps du peuple; ou si l'injustice et l'oppression ne sont tombées que sur peu de personnes, mais à l'égard de certaines choses qui sont de la dernière conséquence, en sorte que tous soient persuadés, en leur conscience, que leurs lois, leurs biens, leurs libertés, leurs vies sont en danger, et peut-être même leur religion, je ne saurais dire que ces sortes de gens ne doivent pas résister à une force si illicite dont on use contre eux. C'est un inconvénient, je l'avoue, qui regarde tous les gouvernements, dans lesquels les conducteurs sont devenus généralement suspects à leur peuple, et il ne saurait y avoir d'état plus dangereux
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