Traité du Gouvernement civil
pour ceux qui tiennent les rênes du gouvernement, mais où ils soient moins à plaindre, parce qu'il leur était facile d'éviter un tel état ; car, il est impossible qu'un Prince ou un Magistrat, s'il n'a en vue que le bien de son peuple et la conservation de ses sujets et de leurs lois, ne le fasse connaître et sentir; tout de même qu'il est impossible qu'un père de famille ne fasse remarquer à ses enfants, par sa conduite, qu'il les aime et prend soin d'eux.
210. Si tout le monde observe que les prétextes qu'on allègue pour justifier une conduite, sont entièrement opposés aux actions et aux démarches de ceux qui les allèguent; qu'on emploie tout ce que l'adresse, l'artifice et la subtilité ont de plus fort, pour éluder les lois; qu'on se sert du crédit et de l'avantage de la prérogative * d'une manière contraire à la fin pour laquelle elle a été accordée; qu'on choisit des Ministres et des Magistrats subordonnés, qui sont propres à conduire les choses à un point funeste et infiniment nuisible à la nation; et qu'ils sont en faveur plus ou moins, à proportion des soins qu'ils prennent et du zèle qu'ils témoignent, à l'égard de cette fin que le Prince se propose; que déjà le pouvoir arbitraire a produit des effets très fâcheux ; qu'on favorise sous-main une religion que les lois proscrivent; qu'on est tout prêt à l'introduire et à l'établir solennellement partout; que ceux qui travaillent à cela sont appuyés, autant qu'il est possible; qu'on exalte cette religion, et qu'on la propose comme la meilleure; qu'une longue suite d'actions montre que toutes les délibérations du conseil tendent là; qui est-ce alors qui peut s'empêcher d'être convaincu, en sa conscience, que la nation est exposée à de grands périls, et qu'on doit penser tout de bon à sa sûreté et à son salut? En cette occasion, on est aussi bien fondé que le seraient des gens qui, se trouvant dans un vaisseau, croiraient que le capitaine a dessein de les mener à Alger, parce qu'ils remarqueraient qu'il en tiendrait toujours la route, quoique les vents contraires, le besoin que son vaisseau aurait d'être radoubé, le défaut d'hommes, et la disette de provisions le contraignissent souvent de changer de route pour quelque temps ; et que dès que les vents, l'eau, et les autres choses le lui permettraient, il reprendrait sa première route, et ferait voile vers cette malheureuse terre où règne l'esclavage.
<< Table des matières / Chapitre XIX >>
----
* On a expliqué ci-devant, Ch. XIV, § 159 sq., p. 262 sq., ce qu'on entend par prérogative.
211. Si l'on veut parler, avec quelque clarté, de la dissolution des gouvernements, il faut, avant toutes choses, distinguer entre la dissolution de la société, et la dissolution du gouvernement. Ce qui forme une communauté, et tire les gens de la liberté de l'état de nature, afin qu'ils composent une société politique, c'est le consentement que chacun donne pour s'incorporer et agir avec les autres comme un seul et même corps, et former un État distinct et séparé. La voie ordinaire, qui est presque la seule voie par laquelle cette union se dissout, c'est l'invasion d'une force étrangère qui subjugue ceux qui se trouvent unis en société. Car, en cette rencontre, ces gens unis n'étant pas capables de se défendre, de se soutenir, de demeurer un corps entier et indépendant, l'union de ce corps doit nécessairement cesser, et chacun est contraint de retourner dans l'état où il était auparavant, de reprendre la liberté qu'il avait, et de songer désormais et pourvoir à sa sûreté particulière, comme il juge à propos, en entrant dans quelque autre société. Quand une société est dissoute, il est certain que le gouvernement de cette société ne subsiste pas davantage. Ainsi, l'épée d'un conquérant détruit souvent, renverse, confond toutes choses et, par elle, le gouvernement et la société sont mis en pièces, parce que ceux qui sont subjugués sont privés de la protection de cette société dont ils dépendaient, et qui était destinée à les conserver et à les défendre contre la violence. Tout le monde n'est que trop instruit sur cette matière, et l'on est trop éloigné d'approuver une telle voie de dissoudre les gouvernements, pour qu'il soit nécessaire de s'étendre sur ce sujet. Il ne manque pas d'arguments et de preuves pour faire voir que lorsque la société est dissoute, le gouvernement
Weitere Kostenlose Bücher