Traité du Gouvernement civil
règlements que ceux qui ont été faits par ce pouvoir législatif, que la société a établi, il est manifeste que le pouvoir législatif est changé. Quiconque introduit de nouvelles lois, n'ayant point reçu de pouvoir pour cela, par la constitution fondamentale de la société, ou qu'il renverse les lois anciennes, il méprise et renverse en même temps le pouvoir par lequel elles avaient été faites, et substitue une nouvelle puissance législative.
215. En second lieu, lorsque le Prince empêche que les membres du corps législatif ne s'assemblent dans le temps qu'il faut, ou que l'assemblée législative n'agisse avec liberté, et conformément aux fins pour lesquelles elle a été établie, le pouvoir législatif est altéré. Car afin que le pouvoir législatif soit en son entier, il ne suffit pas qu'il y ait un certain nombre d'hommes convoqués et assemblés; il faut de plus que ces personnes assemblées aient la liberté et le loisir d'examiner et de finir ce qui concerne le bien de l'État : autrement, si on les empêche d'exercer dûment leur pouvoir, il est très vrai que le pouvoir législatif est altéré. Ce n'est point un nom qui constitue un gouvernement, mais bien l'usage et l'exercice de ces pouvoirs qui ont été établis : de sorte que celui qui ôte la liberté, ou ne permet pas que l'assemblée législative agisse dans le temps qu'il faudrait, détruit effectivement l'autorité législative et met fin au gouvernement.
216. En troisième lieu, lorsque le Prince, par son pouvoir arbitraire, sans le consentement du peuple et contre les intérêts de l'État, change ceux qui élisent les membres de l'assemblée législative, ou la manière de procéder à cette élection, le pouvoir législatif est aussi changé. En effet, si le Prince fait choisir d'autres que ceux qui sont autorisés par la société, ou si l'on procède à l'élection d'une manière différente de celle que la société a prescrite, certainement ceux qui sont élus et assemblés de la sorte ne sont point cette assemblée législative qui a été désignée, établie par le peuple.
217. En quatrième lieu, lorsque le peuple est livré et assujetti à une puissance étrangère, soit par le Prince, soit par l'assemblée législative, le pouvoir législatif est assurément changé et le gouvernement est dissous. Car la fin pour laquelle le peuple est entré en société, étant de composer une société entière, libre, indépendante, gouvernée par ses propres lois, rien de tout cela ne subsiste, dès que ce peuple est livré à un autre pouvoir, à un pouvoir étranger.
218. Or, il est évident que dans un État constitué de la manière que nous avons dite, la dissolution du gouvernement, dans les cas que nous venons de marquer, doit être imputée au Prince; car le Prince ayant à sa disposition les forces, les trésors, et les charges de l'État, et se persuadant lui-même, ou se laissant persuader par ses flatteurs, qu'un Souverain ne doit être sujet à aucun examen, et qu'il n'est permis à personne, quelque spécieuses raisons qu'il puisse alléguer, de trouver à redire à sa conduite; lui seul est capable de donner lieu à ces sortes de changements, dont il a été parlé, et de les produire sous le prétexte d'une autorité légitime, et par le moyen de ce pouvoir qu'il a entre les mains, et avec lequel il peut épouvanter ou accabler ceux qui s'opposent à lui, et les détruire comme des factieux, des séditieux, et des ennemis du gouvernement; pour ce qui regarde les autres parties de l'autorité législative et le peuple, il n'y a pas grand-chose à craindre d'eux, puisqu'ils ne sauraient entreprendre de changer la puissance législative sans une rébellion visible, ouverte et éclatante. D'ailleurs, le Prince ayant le pouvoir de dissoudre les autres parties de la puissance législative, et de rendre ainsi ceux qui sont membres de l'assemblée, de législateurs, des personnes privées; ils ne sauraient jamais, en s'opposant à lui, ou sans son secours et son approbation, altérer par des lois, le pouvoir législatif, le consentement du Prince étant nécessaire, afin que les décrets et les actes de leur assemblée soient valables. Après tout, autant que les autres parties du pouvoir législatif contribuent, en quelque façon, aux changements qu'on veut introduire dans le gouvernement établi, et favorisent le dessein de ceux qui entreprennent de faire ces
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