Traité du Gouvernement civil
changements-là, autant participent-ils à leur injustice et se rendent-ils coupables du plus grand crime que des gens puissent commettre contre d'autres.
219. Il y a encore une voie par laquelle le gouvernement, que nous avons posé, peut se dissoudre; c'est celle qui paraît manifestement, lorsque celui qui a le pouvoir suprême et exécutif néglige ou abandonne son emploi, en sorte que les lois déjà faites ne puissent plus être mises en exécution : c'est visiblement réduire tout à l'anarchie et dissoudre le gouvernement. Car enfin, les lois ne sont pas faites pour elles-mêmes; elles n'ont été faites que pour être exécutées, et être les liens de la société, dont elles contiennent chaque partie dans sa place et dans sa fonction. Tellement que dès que tout cela vient à cesser, le gouvernement cesse aussi en même temps, et le peuple devient une multitude confuse, sans ordre et sans liaison. Quand la justice n'est plus administrée, que, par conséquent, les droits de chacun ne sont plus en sûreté et qu'il ne reste aucun pouvoir dans la communauté qui ait soin des forces de l'État, ou qui soit en état de pourvoir aux besoins du peuple, alors, il ne reste plus de gouvernement. Si les lois ne peuvent être exécutées, c'est comme s'il n'y en avait point; et un gouvernement sans lois est, à mon avis, un mystère dans la politique, inconcevable à l'esprit de l'homme, et incompatible avec la société humaine.
220. Dans ces cas, et dans d'autres semblables, lorsque le gouvernement est dissous, le peuple est rentré dans la liberté et dans le plein droit de pourvoir à ses besoins, en érigeant une nouvelle autorité législative, par le changement des personnes, ou de la forme, ou des personnes et de la forme tout ensemble, selon que la société le jugera nécessaire pour sa sûreté et pour son avantage. En effet, il n'est point juste que la société perde, par la faute d'autrui, le droit originaire qu'elle a de se conserver : or, elle ne saurait se conserver que par le moyen du pouvoir législatif établi, et par une libre et juste exécution des lois faites par ce pouvoir. Et dire que le peuple doit songer à sa conservation, et ériger une nouvelle puissance législative, lorsque, par oppression, ou par artifice, ou parce qu'il est livré à une puissance étrangère, son ancienne puissance législative est perdue et subjuguée; c'est tout de même que si l'on disait que le peuple doit attendre sa délivrance et son rétablissement, lorsqu'il est trop tard pour y penser, et que le mal est sans remède; et l'on parlerait comme feraient des gens qui conseilleraient à d'autres de se laisser rendre esclaves, et de penser ensuite à leur liberté, et qui, dans le temps que des esclaves seraient chargés de chaînes, exhorteraient ces malheureux à agir comme des hommes libres. Certainement, des discours de cette nature seraient plutôt une moquerie qu'une consolation; et l'on ne sera jamais a couvert de la tyrannie, s'il n'y a d'autre moyen de s'en délivrer, que lorsqu'on lui est entièrement assujetti. C'est pourquoi on a droit, non seulement de se délivrer de la tyrannie, mais encore de la prévenir.
221. Ainsi, les gouvernements peuvent se dissoudre par une seconde voie; savoir, quand le pouvoir législatif, ou le Prince, agit d'une manière contraire à la confiance qu'on avait mise en lui, et au pouvoir qu'on lui avait commis. Le pouvoir législatif agit au-delà de l'autorité qui lui a été commise, et d'une manière contraire à la confiance qu'on a mise en lui; premièrement, lorsque ceux qui sont revêtus de ce pouvoir tâchent d'envahir les biens des sujets, et de se rendre maîtres et arbitres absolus de quelque partie considérable des choses qui appartiennent en propre à la communauté, des vies, des libertés et des richesses du peuple.
222. La raison pour laquelle on entre dans une société politique, c'est de conserver ses biens propres; et la fin pour laquelle on choisit et revêt de l'autorité législative certaines personnes, c'est d'avoir des lois et des règlements qui protègent et conservent ce qui appartient en propre à toute la société, et qui limitent le pouvoir et tempèrent la domination de chaque membre de l'État. Car, puisqu'on ne saurait jamais supposer que la volonté de la société soit, que la puissance législative ait le pouvoir de détruire ce que chacun a eu dessein de mettre en sûreté et à couvert, en
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