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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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militaires gradés, et ces adolescents n’avaient
aucune idée, pensait Rudy en pérorant de sa voix forte et
gaie, de la terrible obstination qu’il avait fallu pour être
làdevant eux à cette femme aux chevilles ailées, à la fine
peau palpitante sur sa tempe, aucune idée du temps et de
l’attention que lui prenait l’entretien de ses deux uniques
jupes de coton, l’une rose, l’autre blanche, toujours parfaitement repassées et qu’elle portait avec un débardeur entre
les bretelles duquel la peau fine de son dos, palpitante
comme si deux petites ailes…
    Lui, Rudy Descas, il avait été réellement cet homme
allègre et charmant et beau parleur que Fanta avait fini par
amener chez elle, dans cet appartement aux murs verts où
logeait tant de monde.
    Il se rappelait comme sa gorge s’était nouée quand il
était entré dans la pièce nimbée d’une lueur aquatique,
vaguement funèbre.
    Il avait d’abord gravi derrière elle un escalier de ciment,
longé une galerie sur laquelle donnaient des portes à la
peinture écaillée.
    Fanta avait ouvert la dernière et le demi-jour olivâtre,
accentué par des jalousies aux fenêtres, avait paru l’engloutir.
    Il n’avait plus rien vu que la tache blanche de sa jupe
lorsqu’elle avait pénétré dans la pièce avant de revenir sur
ses pas pour le prier d’entrer, ayant vérifié, avait-il supposé, que l’appartement pouvait lui être montré.
    Et il s’était avancé non sans timidité ni quelque gêne
mais, surtout, la reconnaissance le rendait muet soudain.
    Car dans la pénombre glauque le regard de Fanta lui
disait, calmement : Voilà, c’est ici que j’habite, c’est chez
moi.
    Acceptant, ce regard, le jugement d’un étranger au front
blanc (qu’importait son hâle en cet instant !), à la mèche
blonde,aux mains blanches et lisses, sur son foyer bien
tenu mais si humble — l’acceptant et en assumant par
avance les possibles effets, les sentiments éventuels de
malaise ou de condescendance.
    À quel point cette femme était consciente de tout, lucide
et fine et d’une perspicacité exacerbée mais aussi profondément indifférente, par orgueil, à l’opinion sur son logis
ou sur elle-même d’un homme au front si blanc, aux mains
si blanches et si lisses, Rudy pouvait le sentir, il pouvait
presque l’entendre.
    Elle devait le prendre pour un homme aisé, gâté, avec sa
blondeur et ses belles paroles.
    Mais elle l’avait fait venir là, chez elle, et voilà que d’un
geste et de quelques mots brefs elle lui présentait l’oncle,
la tante, une voisine, d’autres gens encore que la faible
clarté lacustre découvrait peu à peu à Rudy dans le fond de
la pièce, chacun assis sur une chaise ou dans un fauteuil de
velours râpé, immobile, silencieux, accordant à Rudy un
vague hochement de tête, et il se sentait déplacé et voyant
avec ses grandes mains dont il ne savait que faire, dont la
pâleur rayonnait comme devaient rayonner dans le clairobscur son front blanc, sa longue mèche blonde et lisse.
    Il aurait voulu tomber aux pieds de Fanta, lui jurer qu’il
n’était pas celui qu’il avait l’air d’être — ce genre de types
bronzés et sûrs d’eux qui s’en allaient, le week-end, dans
leur villa de la Somone.
    Il mourait d’envie de serrer entre ses bras les genoux
fins de Fanta et de la remercier et de lui dire tout l’amour
qu’il éprouvait pour ce qu’elle l’avait autorisé à voir
— cette pièce austère, ces gens muets devant lui, qui ne
lui souriaient ni ne feignaient d’être enchantés de le rencontrer,cette vie difficile et frugale qu’elle avait et dont,
au lycée Mermoz, comme elle arrivait toujours de son pas
aérien, dans sa jupe blanche ou sa jupe rose raide et propre,
probablement on ne savait rien et moins que quiconque
les enfants de diplomates ou les enfants d’entrepreneurs
qui s’en allaient le week-end pratiquer le ski nautique à la
Somone, toute espèce de gens, brûlait-il de lui dire, qu’il
avait en horreur même s’il lui arrivait secrètement de les
envier.
    Oh, certainement ils ignoraient tout d’elle et de cette
pièce vert-de-gris à l’éclat céleste.
    La lumière de midi, forçant les jalousies, tombait maintenant sur le visage de la tante, sur les mains croisées de
l’oncle qui semblaient attendre le départ de Rudy pour
reprendre le cours de leurs activités.
    Et lui, Rudy, voyait tout cela et ne

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