Trois femmes puissantes
savait comment le
rendre à Fanta.
Il se contenta, bêtement à ses propres yeux, d’incliner le
buste vers chacune des personnes présentes tout en étirant
ses lèvres en un petit sourire tremblant et gauche.
Il pensait alors, dans une sorte de surprise émerveillée,
je l’aime, je l’aime infiniment.
Il ouvrait maintenant la portière de sa voiture, se glissait
à l’intérieur en bloquant sa respiration.
Il faisait encore plus chaud, plus étouffant là-dedans que
dans la cabine téléphonique.
Avait-il eu raison de ne pas rappeler Fanta ?
Et si elle tentait, non de partir mais, au comble de la
détresse parce qu’il avait décidé d’emmener Djibril passer
la nuit chez maman, de se…
Non,il ne supportait même pas de formuler en pensée
un tel mot.
Bon petit dieu de maman, brave petit père, aidez-moi à
y voir clair.
Aidez-nous, bon Dieu.
Pouvait-il encore, rien qu’une minute, lui téléphoner,
n’était-ce pas en vérité ce qu’elle attendait peut-être de lui
en cet instant ?
Bien plutôt, lui susurrait une petite voix ricaneuse, elle
souhaite ne plus entendre le son de ta voix jusqu’à ce soir,
et elle comprend du reste que tu te sens coupable et cherches d’une façon ou d’une autre à t’amender alors que tu
voulais précisément en finir avec cette manie de prendre sur
ton pauvre dos l’entière responsabilité de toutes vos altercations, puisqu’elle ne t’en estime sans doute pas davantage
pour cela et peut-être même te méprise un peu de flancher
après avoir été redoutable, de chercher pardon et consolation
auprès d’elle que tu as offensée en lui disant, est-ce imaginable, de repartir d’où elle venait, est-ce vraiment imaginable.
Tout en mettant le contact, il secouait la tête en signe de
dénégation.
Une telle phrase, il ne pouvait, lui Rudy Descas, l’avoir
prononcée.
Cela ne se pouvait.
Il ne put retenir un petit rire sec.
Aurait-il voulu dire, ah, ah, qu’elle pouvait revenir à
Manille ?
Il suait à grosses gouttes.
La sueur tombait sur le volant, sur ses cuisses.
Il voulut passer la première, impossible, le levier bloquait.
Ilcala.
Le silence, un instant brisé par le vain ronflement de la
Nevada, l’enveloppa de nouveau et il se vit alors comme
partie nécessaire, incontestable et parfaite de ce morceau
de paysage.
Il ne dérangeait rien ni personne et nul n’avait d’emprise sur lui.
Il appuya sa tête au dossier.
Bien qu’il fût en nage encore, son cœur s’apaisa.
Mais il devait bien admettre que Manille était, dans
son genre provincial plutôt discret, un entrepreneur florissant, et que, s’il n’avait jamais fait de ski nautique ni
possédé d’autre maison que la grosse villa qu’il s’était fait
construire derrière les bâtiments de l’entreprise, son assurance virile mais sobre, presque élégante, retenue, cette
particulière douceur qu’il avait, comme de quelqu’un qui
peut se le permettre car rien ne le menace ni ne l’effraye,
pouvait encore, pouvait de nouveau attirer une femme
désorientée, désœuvrée et blessée, une femme perdue telle
que l’était maintenant Fanta.
Étrange, se dit-il, ou peut-être un effet de l’amour, que
je ne puisse lui pardonner à elle, alors que lui, c’est comme
si je le comprenais.
Mais plus étrange encore, c’est qu’elle aussi, à vrai
dire, je la comprends, à tel point que je peux m’imaginer,
si j’étais femme, céder joyeusement et simplement à la
séduction peu compliquée d’un Manille — oh, comme je
la comprends et comme je lui en veux.
Cependant une sorte d’abrutissement effaré, halluciné
suspendait son souffle sans même qu’il s’en rendît compte
lorsqu’il tentait de s’approcher en pensée de la chambre
deManille, qu’il se figurait à l’image de la villa, vaste et
conventionnelle, ornée des objets attendus et onéreux de
la décoration contemporaine, lorsqu’il poussait doucement la porte de cette chambre inconnue et découvrait sur
le lit géant, dans une lumière éclatante, Fanta et Manille,
ce dernier allongé sur Fanta, la femme de Rudy Descas,
et gémissant à mi-voix tandis que ses hanches puissantes,
son fessier de centaure remuaient à un rythme calme et sûr
qui creusait dans sa chair velue des fossettes, et son visage
reposait dans le cou de Fanta, la propre femme de Rudy
Descas, l’unique amour véritable de toute la vie de Rudy
Descas.
Ou bien, ce
Weitere Kostenlose Bücher