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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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écartés),
il s’amusa de la pensée que ses collègues avaient trouvé
peut-être en lui leur ange.
    Il avançait, nimbé de blondeur scintillante, tel qu’autrefois lorsqu’il quittait son petit appartement du Plateau et
descendait l’avenue vibrante de chaleur en étant parfaitement et tranquillement conscient de l’entière honnêteté de
son cœur, de la plénitude de son honneur.
    Il aurait voulu lancer à ses collègues, joyeux, aimable,
séduisant, si naturellement gentil : Je suis le Ministre dont
ma mère vous a parlé !
    N’y avait-il pas eu une époque, il s’en souvint avec
malaise, où maman décolorait à l’eau oxygénée les cheveux couleur lin clair de son petit Rudy afin qu’il parût
plus blond encore, presque blanc ?
    Il se rappelait la déplaisante odeur de l’alcool qui finissait par le plonger dans une somnolence hébétée, tassé sur
un tabouret dans la cuisine de cette maison où Manille lui
avait appris tout à l’heure qu’il avait passé tant de mercredis, aussi devait-il être bien jeune quand maman s’était
mise en tête de lui attribuer ainsi l’élément le plus conventionnel de la figure angélique car ces séances s’étaient
interrompues quand ils étaient partis rejoindre en Afrique
le père de Rudy.
    Peut-être, se dit-il, maman avait-elle jugé que, là-bas,
la blondeur naturelle des cheveux de Rudy suffirait largement à l’asseoir comme séraphin ou bien n’avait-elle pas
osé continuer cette pratique en présence du père de Rudy
qui, incrédule, railleur, brutal, avait planté là son propre
gardien et, pour le semer, s’était sauvé en galopant toujours plus loin dans les ombres de ses calculs cyniques, de
sestactiques et plans plus ou moins secrets, plus ou moins
     licites.
    Je suis votre messager des Trônes ! voulut-il crier, et
cependant il s’en dispensa, ne tenant pas à tourner la tête
vers ses collègues.
    Il lui plaisait soudain de se dire que ces derniers
accueillaient peut-être en cet instant précis une révélation
de ce genre en le voyant passer, là, devant eux, les jambes
un peu bizarrement disjointes, la démarche un peu roide,
mais auréolé malgré cela d’une formidable, lumineuse
majesté, d’un resplendissement solaire.
    Il n’avait pas su défendre Fanta.
    Il s’était prétendu le veilleur, en France, de sa fragilité
sociale, et il l’avait laissée tomber.
    Il poussa la porte, pénétra dans le hall d’exposition.
    Les deux clients de Manille en étaient maintenant à choisir les tabourets du bar américain sur lequel, Rudy était
prêt à le parier, ils ne prendraient jamais le moindre repas,
auquel ils ne s’accouderaient même jamais pour boire un
café, préférant la petite table malcommode qui leur avait
toujours servi jusqu’alors et qu’ils trouveraient le moyen
de réintroduire en douce dans la cuisine toute neuve que
Manille leur aurait installée, et quand, à l’occasion d’une
visite de leurs enfants, ceux-ci s’étonneraient et les gronderaient presque d’avoir relogé leur vieille table graisseuse,
aux rainures emplies de miettes, au coin du comptoir,
gênant ainsi l’accès au réfrigérateur, ils se justifieraient,
pensa Rudy, en arguant que c’était provisoire et qu’ils élimineraient leur chère table dès qu’ils auraient trouvé tel petit
meuble qui leur manquait encore pour déposer, lorsqu’ils
rentraient des courses, les sacs et les cartons.
    Manilleleur faisait caresser la moleskine brune d’une
paire de tabourets en bois foncé.
    Il attendait près d’eux, infiniment patient, jamais pressant, jamais désireux d’en finir.
    L’homme, de loin, entendant le pas de Rudy, leva les
yeux.
    Il l’observa plus longuement, songea Rudy avec émotion, qu’on ne le fait généralement, d’un regard amène,
accueillant.
    Rudy eut l’impression que l’autre esquissait le geste de
soulever son béret pour le saluer.
    Et alors qu’un tel mouvement accompagné du regard
insistant, la veille encore, l’eût inquiété et gêné et qu’il se
fût immédiatement demandé quelle sorte de désagrément
allait s’ensuivre, il se dit avec gaieté que ce type l’avait
sans doute simplement reconnu.
    Je suis l’esprit des Dominations !
    Oui, le gars avait peut-être eu entre les mains un des
tracts de maman et, voyant passer Rudy ainsi constellé, un
sentiment d’évidence et de béatitude le touchait en plein
cœur.
    Es-tu celui qui

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