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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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quittée cette
pièce, il n’y reviendrait plus, qu’on ne le lui permettrait
pas et que, pour une raison qu’il ne pouvait encore entrevoir, on préférait ne pas l’en avertir déjà — parce qu’on le
craignait ?
    — J’ai fait tout ce que j’ai pu pour Menotti, tu le sais ?
Je n’ai jamais donné autant de moi-même, depuis que je
travaille ici, que pour cette foutue cuisine. Les heures supplémentaires, je les ai faites sans les compter.
    Il était calme et il pouvait sentir sur son visage la chaleur de son calme, de son sourire léger.
    Les tiraillements de son anus s’apaisaient.
    Comme Cathie s’entêtait à feindre de ne pas se rendre
compte de sa présence, et parce qu’il songeait soudain que,
s’il ne revenait pas au bureau, il ne la reverrait peut-être
jamais, il se pencha doucement vers le lobe minuscule et
rosé de son oreille presque translucide.
    Il chuchota, calme et doux — aussi doux, aussi calme,
pensa-t-il, que le jeune homme qu’il avait été :
    — Je devrais le buter, non ? Manille ?

Ellepencha vivement la tête de côté pour s’éloigner de
lui.
    — Rudy, fiche le camp, maintenant.
    Il leva les yeux et regarda encore une fois, à travers la
baie vitrée, la villa ensoleillée de Manille avec son entrée
importante, disproportionnée, très semblable, cette grosse
maison basse, à celles que se faisaient construire dans
le quartier des Almadies les riches entrepreneurs et de
fait très comparable, se dit-il dans une violente secousse
de toute son âme, et de fait, oui, très similaire à la villa
qu’avait bâtie à Dara Salam son père Abel Descas qui
avait alors préféré pour les volets non pas ce bleu provençal aujourd’hui partout répandu mais un rouge sombre lui
rappelant le Pays basque dont il était issu, ne soupçonnant
pas, comment l’eût-il pu mais il ne s’en peut retourner ,
que le rouge à peine moins sombre du sang de son ami, de
son associé et ami, teindrait à jamais cette pierre très blanche et poreuse qu’il avait choisie pour la vaste terrasse.
    Oui, songea Rudy, les hommes ambitieux aux jambes
fortes plantées bien droit sur le sol, sans le moindre fléchissement gracieux du genou, comme Manille ou Abel
Descas, édifiaient des maisons semblables car ils étaient
de la même sorte d’hommes bien que le père de Rudy eût
trouvé offensant ou comique d’être comparé à un marchand de cuisines, lui qui avait su, très tôt, s’arracher de
sa province, franchir l’Espagne et un petit bout de Méditerranée, puis le Maroc et la Mauritanie avant d’arrêter sa
vieille, valeureuse Ford au bord du fleuve Sénégal, là où,
s’était-il dit immédiatement, s’appliquant déjà à forger sa
petite légende familiale, il fonderait un village de vacances
comme il n’en avait encore jamais existé.
    Ohoui, songea Rudy, cette espèce bien particulière
d’hommes aux désirs pragmatiques mais non moins
ardents que s’ils étaient spirituels n’éprouvaient jamais le
sentiment qu’il leur fallait lutter jour après jour contre les
figures glaciales de quelque rêve infini, monocorde et subtilement dégradant.
    Avant de s’éloigner du bureau de Cathie, comme il la
sentait raide et apeurée et que ses petits yeux immobiles
s’acharnaient désespérément à éviter de croiser les siens, il
ne put s’empêcher de lui dire encore, d’une voix qui tremblait un peu :
    — Si tu savais toute la douceur que j’ai au fond de
moi !
    Elle eut un gloussement rauque, involontaire.
    Mais son père ou Manille, eux, quoique redoutables
dans leur genre, n’étaient pas de ces hommes dont les femmes ont peur, alors que lui, mon Dieu, comment en était-il
arrivé là…
    Il ramassa sur sa propre table les brochures de maman
et en fit un rouleau qu’il enfourna dans une poche de son
pantalon.
    Il traversa la grande pièce baignée de lumière, ne doutant pas que ses collègues le suivaient du regard avec
soulagement ou dédain ou autre chose encore dont il ne
pouvait avoir idée.
    Et pourtant, là, comme il allait atteindre la porte vitrée
de son pas toujours entravé par les élancements de son rectum, les cuisses éloignées l’une de l’autre alors que nulle
musculature excessive ne les y contraignait (car il avait les
jambes fines, sinon maigres, et voilà qu’il marchait un peu
comme son père ou Manille, ces hommes dont les cuissesmassives les forçaient à garder les genoux très

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