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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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baiser.
    Il revoyait tout cela et n’en était pas affligé.
    Comme il faisait chaud !
    Les fourmillements de son anus se réveillaient.
    Oh, il revoyait tout cela et…
    Quel bonheur, se dit-il.
    Il se gratta, non sans plaisir, conscient que son prurit ne
le précipiterait plus dans les mêmes gouffres de colère et
de découragement, qu’il n’avait plus de raison de considérer ces maux ordinaires comme un châtiment ou une illustration de son infériorité.
    Il était capable maintenant de…
    Il posa la main sur la poignée de la portière chauffée à
blanc.
    Il n’ôta pas ses doigts tout de suite.
    Cela le brûlait et c’était désagréable mais il lui sembla
percevoir mieux encore, par contraste, la légèreté nouvelle
de son esprit et la vacuité de sa poitrine, l’élargissement de
son cœur — libre enfin ! cria-t-il en lui-même.
    Et comment cela ?
    Comment cela se faisait-il ?
    Il regarda longuement, tout autour de lui, les grosses
voitures grises et noires de ses collègues et la route devant
leparking avec ses alignements d’entrepôts et de pavillons
et il leva son front pour l’offrir délicieusement au soleil
infernal — enfin libre !
    Et de quoi était-il maintenant capable ?
    Très bien, il pouvait aller jusqu’au bout malgré la légère
rougeur d’embarras dont il sentait s’empreindre ce front
qu’il haussait vers le ciel, il pouvait parfaitement aller
jusqu’au bout et mettre à l’épreuve sa liberté toute neuve
en reconnaissant, pour la première fois, que les trois adolescents ne l’avaient pas agressé.
    Ce qu’il restait en lui de l’ancien Rudy Descas protesta.
    Mais il tenait bon, même si un début de panique, de
désarroi le faisait maintenant frissonner.
    Il tira la portière, se laissa tomber sur le siège.
    L’intérieur de la voiture était suffocant.
    Il tâcha pourtant d’inspirer à grandes goulées cet air
confit pour s’apaiser et repousser la peur, l’effroyable peur
qui s’avançait vers lui à l’idée que, s’il admettait que ces
garçons ne l’avaient pas attaqué, il devrait concéder également que c’était lui, Rudy Descas, alors professeur de lettres
au lycée Mermoz de Dakar, qui s’était jeté sur l’un d’eux,
entraînant les deux autres à venir secourir leur camarade.
    Vraiment ?
    Oui, c’est bien ainsi que les choses avaient dû se passer,
pas vrai, Rudy ?
    Un flot de larmes acides lui monta aux yeux.
    Il avait si bien travaillé à se persuader du contraire qu’il
n’était pas encore sûr de la réalité de la vérité.
    Il n’en était pas encore sûr.
    Il tendit le bras vers la banquette arrière, attrapa sa
vieille serviette, tamponna ses paupières.
    Mais,cette vérité-là, pouvait-il l’entrevoir et ne pas s’en
trouver affligé ?
    La cour du lycée étalait au soleil de midi sa vaste étendue de goudron grésillant.
    Rudy Descas sortait de l’établissement de son pas agile,
heureux, de jeune professeur aimé et brillant, aimé de ses
élèves comme de ses collègues et de sa femme Fanta qui
comptait parmi ces derniers, et nul besoin pour lui alors, se
dit Rudy sans amertume, nul besoin de se croire ministre
des volontés divines pour sentir autour de sa personne un
halo de bienveillance, de triomphe subtil, d’ambitions raffinées.
    Le goudron adhérait légèrement à la semelle de ses
mocassins.
    Ce contact l’avait mis en joie et il souriait encore pour
lui-même quand il avait passé la grille du lycée et ce sourire s’était répandu comme un geste bénisseur involontaire
vers les trois adolescents qui étaient là, attendant à l’ombre
chétive d’un manguier, leurs visages luisant au soleil de
midi.
    Tous trois faisaient partie de ses élèves.
    Rudy Descas les connaissait bien.
    Il avait pour eux une affection particulière car ils étaient
noirs et venaient de milieux modestes et l’un d’eux,
croyait-il savoir, avait un père pêcheur à Dara Salam, le
village où Rudy et ses parents avaient vécu autrefois.
    Assis dans sa voiture, sur le parking de Manille, Rudy se
rappela ce qu’il éprouvait toujours alors quand son regard
se posait sur le fils du pêcheur : une amitié excessive, délibérée, anxieuse, sans rapport avec les qualités propres de
ce garçon et qui aurait pu soudainement virer à la haine
sansque Rudy s’en fût vraiment rendu compte, sans qu’il
eût même pu comprendre que c’était de la haine et non
plus de

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