Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
Vom Netzwerk:
de Menotti, il n’avait guère
tardé à le comprendre, cette fois où, en pleine nuit, Menotti
lui avait téléphoné chez lui, réveillée, se plaignait-elle, par
une terrible angoisse, non, pire encore, par une crise de
suffocation telle qu’elle n’en avait encore jamais eu à l’idée
quele plan de travail central n’était peut-être pas du tout
ce qui lui convenait, et pourquoi ne pas revenir simplement
au projet de départ et aligner le long des murs les éléments
principaux, pourquoi ne pas revoir la conception entière de
cette cuisine dont elle n’était même plus certaine, avoua-t-elle dans un hoquet de détresse, d’avoir envie, là, assise
en chemise de nuit dans sa vieille cuisine si sympathique,
pourquoi ne pas tirer un trait sur toute cette histoire, elle se
sentait si mal, si mal.
    Et Rudy avait employé une bonne heure à lui rappeler
qu’elle avait poussé la porte de chez Manille précisément
parce qu’elle ne supportait plus le mobilier démodé et disparate de sa cuisine actuelle, puis, presque grisé de fatigue et d’ennui, il lui avait assuré que son espérance tacite
de voir sa vie égayée, transformée grâce à l’installation de
placards astucieux et d’une hotte télescopique, que cette
espérance n’était pas absurde — Menotti voulait-elle lui
faire confiance ?
    Il avait raccroché épuisé mais trop nerveux pour tenter
de se rendormir.
    Une bouffée de haine l’avait envahi à l’encontre de
Menotti, non parce qu’elle l’avait réveillé mais parce
qu’elle avait pu seulement envisager d’annuler les semaines d’un travail fastidieux, rebutant, qu’il avait consacrées
à essayer d’adapter les désirs compliqués et téméraires de
cette femme au mince budget dont elle disposait.
    Oh, le temps qu’il avait perdu devant l’ordinateur à chercher le moyen d’intégrer un comptoir américain ou une
poubelle à ouverture automatique dans les plans qu’elle
avait approuvés avant de se raviser, l’écœurement qui
l’avait pris souvent de constater qu’il devait engager pour
d’aussivulgaires questions pas moins que son intelligence
entière, et toutes ses facultés de concentration et toute son
ingéniosité !
    C’était là peut-être, pour la première fois aussi douloureusement, alors qu’il venait de rassurer Menotti au cœur
de la nuit, qu’il avait mesuré l’ampleur de sa dégringolade.
    Il avait passé avec sa cliente une revue générale de
cette cuisine qu’il trouvait grotesque, inutile (équipée
comme pour recevoir chaque jour des hôtes nombreux et
délicats alors que Menotti vivait seule et, de son propre
aveu, n’aimait guère préparer à manger) puisque tel était
maintenant son rôle, telle était sa vie, et Menotti ne pouvait imaginer qu’il avait prétendu à un poste de professeur
d’université ni qu’il s’était considéré à un moment comme
un expert de la littérature du Moyen Âge car rien ne se
laissait plus deviner en lui maintenant de cette belle érudition qu’il avait eue, qui doucement s’estompait, doucement ensevelie sous la cendre des tracas n’en finissant pas
de se consumer. Ceux qui sont en mariage ressemblent au
poisson étant en grande eau en franchise …
    Comment s’extraire, s’était-il demandé avec une lucidité froidement désespérée, de ce rêve infini, impitoyable,
qui n’était autre que la vie même ? … qui va et vient où il
lui plaît et tant va et vient qu’il trouve une nasse…
    — Elle t’attend, vas-y tout de suite, disait Manille.
    Se pouvait-il qu’il fût en train de lui parler de Fanta ?
    Rudy était sûr d’une chose, c’est que, si Fanta avait cessé
de l’attendre, lui, son mari, elle n’attendait pas davantage
ce Manille qui, pour certaines raisons que Rudy ignorait,
l’avait déçue.
    Manilletourna les talons.
    — Je dois passer chez Mme Menotti, c’est ça ? cria
Rudy.
    Manille hocha la tête sans le regarder, puis il rejoignit
le hall d’exposition où, le temps de parler à Rudy, il avait
laissé ses deux clients juchés sur des tabourets de bar, leurs
grosses jambes pendant gauchement au ras du sol.
    L’homme, de loin, souriait vaguement à Rudy.
    Il tenait son béret posé sur ses genoux et Rudy pouvait
voir, même à cette distance, la luisance pâle de son crâne
nu au-dessus de son front coloré.
    Ils sont parmi nous !
    Comment savoir, se demanda-t-il, si ce couple intéressé
par

Weitere Kostenlose Bücher