Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
j’en tiens
compte. » Pour ne point se sentir trop loin de ses sujets il leur expliqua
que son métier d’empereur était très difficile ; il se rattrapa à Val-d’Isère
dix jours plus tard : « Ma situation est moins difficile que ceux qui
se trouvent sans emploi. » Qu’en était-il de sa promesse, qui le fit choisir
pour occuper le trône et consistait à affirmer que le pouvoir d’achat était
principal ?
Après avoir couru la planète, le Prince dut se résoudre à
courir son propre pays pour le réconforter. Il écoutait maintenant les alarmes
de l’opinion que ses conseillers lui présentaient en chiffres. Il en devint
frileux et mit sous le boisseau quelques réformes disparates et sans actualité
ni urgence, ou d’autres qui soulevaient des refus comme sur l’hôpital ou les
juges d’instruction, ces gredins, ces ennemis des procureurs impériaux. Sa
Majesté partit donc en tournée dans ses provinces, avec dix-sept voitures
blindées que survolaient des hélicoptères. Il donna un premier discours à
Saint-Lô, mais l’accueil le déconcerta puis le poussa hors de lui. Trois mille
manifestants l’attendaient, des jeunes mal contenus par la police, qui
obligèrent les autorités à fermer en plein jour les volets de l’école
maternelle où Notre Souverain s’exprimait, afin qu’on n’entendît point les
sifflets en fond de discours. Lorsque le Prince sortit pour changer de salle et
donner une seconde allocution, il y eut des lancements de cailloux et des
insultes de lèse-majesté :
— Fumier !
— Pourri !
— Nos gosses crèvent de faim !
— Naboléon !
Des militants impériaux, coincés derrière les chahuteurs,
furent remplacés immédiatement par du personnel dévoué de la préfecture qui
servit de claque. Dehors une vitrine explosa. On entendit claquer des bombes
lacrymogènes. Le Prince était furieux et ne décolérait point : « Quel
con, ce Préfet ! » Le Préfet fut muté, avec son adjoint à la
sécurité, et la leçon servit, parce qu’il n’était plus question d’improviser un
bain de foule, même dans une petite ville où les trublions pouvaient surgir et
crier. Le programme des déplacements prévus fut autrement préparé. Cela s’apparenta
aux voyages de propagande que menait le tyran Ceauşescu dans ses campagnes
roumaines ; il visitait des fermes modèles, on repeignait les cochons en
rose sur son passage. Personne n’osa, même pas M. le Cardinal, citer une
réflexion de M. Mazarin après qu’il eut subi la Fronde et se fut fait
tirer la barbiche : « Si quelqu’un te manifeste sa haine, sache que
ce sentiment est toujours authentique ; à la différence de l’amour, la
haine ignore l’hypocrisie. »
À Nîmes, cela se passa sans histoires pour Sa Majesté. Dès
la veille au soir les voitures n’eurent plus le droit de se garer dans le
centre de la ville, et dès l’aube elles n’eurent plus le droit de circuler, ni
les piétons ; les boutiques étaient fermées, les bureaux, le lycée. Les
enfants du collège Feuchères n’eurent pas le loisir de rentrer déjeuner chez
eux et ils passèrent la journée avec des ventres creux. Les médecins ne purent
visiter leurs patients, une vieille dame fut empêchée de rentrer chez elle avec
son cabas de légumes. Les manifestants avaient été maintenus à plus de huit
cents mètres du lieu où devait parler le Prince, et s’ils lancèrent des œufs,
des bouteilles et des chaussures aux policiers en cordon, on ne les entendit
point brailler au cœur de la ville. Quand on vit à l’image Notre Souriant
Monarque saluer de la main, on put croire qu’il s’adressait à la foule mais c’était
aux escadrons de policiers ; il ne vit pas un seul Nîmois.
Ce fut partout la même supercherie ; le Prince
circulait d’une ville morte à une autre ville morte. Quand il visita au galop
le centre Peugeot de Vesoul, à midi, les ouvriers du matin avaient été renvoyés
chez eux, et les horaires de leurs collègues de l’après-midi décalés afin que
Sa Majesté ne rencontrât que des salariés triés et une poignée de militants
impériaux. À Provins, devant un parterre de soldats, il défendit sa réforme de
l’armée qui consistait à la réduire, et il fit une plaisanterie qui tomba,
expliquant qu’on avait moins besoin de régiments pour nous défendre comme
autrefois de l’armée italienne puisque nous avions désormais avec nous la
comtesse Bruni. En Anjou, dans un
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