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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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RÉFECTION DU PARTI
IMPÉRIAL. – PORTRAIT D’UN SPADASSIN. – LE SACRE DE
M. OBAMA. – COLONIES EN FEU. – LES EMBARRAS DU COMTE D’ORSAY.
     
     
      D ANS LES PARAGES DE N OËL , N OTRE Bondissant Leader
s’offrit de courtes vacances familiales sous les tropiques, où il salua le père
naturel de Madame qui brassait des affaires à Salvador de Bahia. Le couple
impérial s’installa dans une cocoteraie protégée au large par une frégate de la
marine, et il loua onze bungalows pour ne point subir un voisinage mauvais ou
curieux. Leurs Majestés assistèrent émerveillées à la ponte d’une tortue, dans
la réserve d’Una, avant de courir sur la plage d’Itacaré, lestées d’une dinde
rôtie au porto qu’il fallut digérer malgré la chaleur. Le bermuda rose à fleurs
de Notre Vigoureux Monarque fit sensation auprès des services brésiliens de
sécurité.
    Le gouvernement des royaumes d’Europe avait passé doux comme
lait mais le terme arriva, et il fallut rendre les clefs du bureau de
Bruxelles, au dernier étage de l’immeuble du Conseil, pour ne plus revoir le
canapé en cuir et le papier peint à rayures jaunes et blanches auxquels Sa
Majesté sut échapper en ne vivant qu’en aéroplane, d’une ville à l’autre, d’un
problème à un autre. Si Notre Prince Véloce avait oublié en cours de mandat ses
priorités du début, la défense commune ou le replâtrage des institutions, l’imprévu
le sauva, qu’il appréciait tant pour donner sa mesure, ou mieux, sa
démesure ; en vérité il fut sauvé de la routine par l’aventure guerrière
du tzar et la subite éclosion de la Crise. Il décida sans partage et jeta aux
orties les instances communautaires. Il relégua le Parlement européen, il noua
des contacts directs avec des gouvernements choisis, il bougea l’Europe, il la
remua, il la secoua, il y sema le désordre ; il délaissa les Ibères et les
Romains, rendit les Grands-Bretons sceptiques, agaça les Germains, oublia les
pays les plus maigres et de faible importance, aussi eut-il un haut-le-cœur
quand il dut céder sa couronne provisoire aux Tchèques, des moins que rien qu’il
aurait volontiers mis au rebut, pour continuer à trôner et à diriger ces
royaumes coalisés qui le haussaient presque au niveau de l’empereur Obama. Même
si le tzar l’avait emporté, même si la Crise désolait les peuples et ne
profitait qu’aux financiers qui en étaient à l’origine, le Prince se tressa des
lauriers et commanda aux impériaux de le chanter.
    Lorsqu’il présenta ses vœux de nouvelle année, Notre
Irremplaçable Maître fut aussi terne que la dernière fois ; une nouvelle
mise en scène n’y changea rien, qui montrait d’abord une tour Eiffel bleue
comme l’Europe et scintillante, puis le Prince debout devant la bibliothèque du
Château d’où il n’avait jamais eu la curiosité de tirer un volume ni même d’en
lire un titre. Il dit que l’année avait été difficile pour tous et que s’il
fallait travailler plus il ne s’agissait pas de gagner plus. Le lendemain, sur
les fenestrons du service public, il y eut une heure de spectacle consacrée à
louer la douceur, le tact, les dons fabuleux de Madame ; on comprit ce
jour-là que naissait sous nos yeux l’ORTI, l’Office de Radio-Télévision
impériale. Madame passait à la cire l’image du Prince Vénéré : « Il a
cette volonté de protéger les autres », ceci afin de le faire apprécier
des craintifs et des sans avenir. Dans le décor du Château elle citait
Nietzsche comme M. Obama mais à propos de la musique, parfois elle s’exprimait
en anglais pour étaler son universalité de bonne famille. Ce fut ensuite un
défilé de témoins des arts et de la couture, qui se prosternèrent avant de la
tartiner de pommade : « C’est comme un cheval de course »,
disait l’un, et l’autre reprenait : « Elle dégage une qualité
humaine », car dans le peuple on la trouvait distante et glacée. L’encens
fumait. On s’aperçut que de profil Madame avait le nez pointu.
    La vie réelle était moins tendre, même pour Notre
Déconcertant Monarque ; il continuait à gesticuler et cela finit par se
voir, ses mots se brouillaient, il se contredisait, il confondait les phrases
et les actions, croyait que dire suffisait quand les mots partaient au vent. Il
dit à Provins : « J’écoute mais je ne tiens pas compte » ;
il se reprit à Châteauroux : « J’écoute les inquiétudes et

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