Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
milliardaires,
retraités ou banquiers de partout, et ceux-ci encaissèrent longtemps de gros
profits sans jamais s’interroger sur sa méthode pourtant simple :
M. Madoff payait ses anciens clients avec l’argent des nouveaux, et ainsi
de suite, et le manège tourna rond jusqu’à la récente calamité. Dans l’instant,
M. Madoff devint l’imposteur qui avait volatilisé cinquante milliards de
dollars tirés des poches d’autrui. Quand on l’arrêta dans son très noble
appartement de l’Upper East Side, il reçut les fédéraux en pantoufles et en
pyjama. Il n’allait plus sortir de prison que dans une boîte, à l’âge de deux
cent vingt ans car la justice américaine savait vous condamner à plusieurs vies
de bagne.
Notre Inventif Souverain n’avait point chez lui semblable
escroc à jeter en pâture pour provoquer l’indignation, des palabres infinies et
un voile de fumée ; ses banquiers pris la main dans le coffre semblaient
de piètres filous, et ils firent semblant de se repentir en attendant la fin de
l’orage boursier, et que, sitôt remis à flot par la monnaie des contribuables,
ils pussent recommencer leurs combinaisons hasardeuses. Les procureurs de Sa
Majesté n’avaient que la filandreuse histoire du chevalier Dray à se mettre
sous les crocs. Ce chevalier, sorte de gros écureuil aux yeux plus grands que
le bedon, avait le même goût canaille des choses clinquantes que Notre Prince,
qu’il avait fréquenté dans les couloirs et que d’ailleurs il tutoyait en privé.
L’un et l’autre aimaient les montres chargées d’or et de cadrans pour indiquer
la marée, les croissants de lune, la météo, la profondeur des abysses
sous-marins, le nord, l’heure qu’il faisait à Tombouctou, à Sydney, à Singapour
et accessoirement à Paris. Le chevalier était depuis des décennies un
collectionneur ardent. Il revendait ses montres rares pour en acheter d’encore
plus rares, s’endettant pour satisfaire ce besoin de belle horlogerie,
empruntant aux amis qu’il avait nombreux, comme ce marchand de maillots de bain
du marché d’Antibes qui lui prêta une somme en chèques de ses clients. Le
chevalier remboursait, et il empruntait à nouveau, achetait, revendait,
rachetait, empruntait ; les billets circulaient à donner le tournis. Cela
aurait pu tranquillement continuer mais le chevalier Dray avait un gros défaut
que Notre Fougueux Leader supportait mal, il était assez à Gauche pour lui
avoir par deux fois refusé un ministère, parce qu’il ne se sentait point une
âme de Transfuge, et qu’il avait retenu un membre haut placé du Parti social,
M. Boutih, lequel paraissait mûr pour accepter un maroquin d’où qu’il vînt
et ne voyait naïvement aucun calcul chez Sa Majesté. Alors la chasse au
chevalier Dray fut déclenchée : en l’abattant on entamait le moral de la
Gauche déjà grippée.
Aboyant, jappant, bondissant, la brigade financière
mordillait les mollets du chevalier. En cette période d’agitation lycéenne,
elle fouilla les comptes des associations de jeunes mises en orbite autour des
sociaux. Il fallait trouver ; on trouva. Qu’est-ce donc, cette gestion
branquignole, ces comptes baladeurs, ces chèques volages comme sous le règne du
roi Mitterrand où les mœurs étaient souples quant au financement des
organisations politiques ? Les trésoriers de tous les partis se firent un
jour pincer dans des manipulations de billets désormais interdites. Cela ne
manqua pas : on vit des flux d’argent sauter d’un compte à l’autre dans le
portefeuille du chevalier Dray, vite marqué d’infamie par une enquête
préliminaire du procureur impérial. Alors ce fut la curée, les gazettes furent
lâchées aux basques du chevalier sonné par l’accusation. Les titres accablaient
celui dont on disait qu’autrefois il avait tenu un commerce d’horlogerie rue
Bonaparte, à Paris, ce qui était faux. On lisait Les comptes de Dray à la
loupe , Ce que révèle l’enquête , Les mauvais comptes du chevalier , Dray verse dans le judiciaire , Dray dans la tourmente ; l’intéressé,
qui n’avait point droit à son dossier, apprenait son histoire chaque jour dans
les gazettes qui s’acharnaient. « On a connu changement d’année plus
heureux », dit-il quand s’ouvrit l’année 2009.
Chapitre III
LES LAURIERS DE SA
MAJESTÉ. – COMMENT SE COUPER DU PEUPLE. – LE DEVOIR D’APPLAUDIR. –
LA BARONNE D’ATI FLOTTE MAIS NE COULE PAS. –
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