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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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village de seize cents âmes, Notre Intrépide
Souverain fut enveloppé de plusieurs escadrons, soit un policier pour deux
villageois. À Châteauroux, apercevant une dame derrière la moutonnante cohorte
des gendarmes, un officier lui ordonna de se baisser : « Sa Majesté
ne veut pas voir de civils ! » Tout fut proprement mis en scène pour
l’inévitable Salon de l’agriculture, où naguère il y eut des incidents sur le
parcours de Son Altesse. Cette année, le Monarque n’eut point à perdre ses
nerfs. Ses services mirent en œuvre une technique éprouvée l’automne précédent
pour le Mondial de l’automobile. Nicolas I er le Téméraire
arriva dans un essaim de cinquante policiers, et une petite foule l’acclama en
se cramponnant aux barrières métalliques qui l’écartaient néanmoins du trajet.
Ces braves gens réchauffèrent le Prince en lui criant : « Tenez bon,
Sire ! » ; ils étaient tous adhérents du Parti impérial et
quelques-uns, on le vit sur les images diffusées, tenaient encore en main leur
invitation barrée de tricolore. Ce nouveau type de filtre fut désormais en
vigueur à chaque déplacement du Prince. Lorsqu’il se rendit au palais parisien
de la Mutualité, où se tenait une réunion des impériaux, le quartier était
fermé, les véhicules enlevés, un large périmètre bloqué par des voitures
banalisées et rangées en chicane au milieu de la chaussée. Même les riverains
étaient éloignés avec sévérité. Une dame appuyée sur sa béquille, un pied dans
le plâtre, voulait traverser pour rentrer chez elle.
    — On ne passe pas, dit un agent casqué.
    — J’habite dans cet immeuble…
    — Votre carte.
    — Ma carte d’identité ?
    — Votre carte du Parti impérial.
    — Quoi ? Pour aller chez moi ?
    — Sans carte, vous n’avez rien à faire à moins de huit
cents mètres de Sa Majesté. Circulez !
    Au Château, après des jours et des nuits d’anxiété, on se
félicita de la grande manifestation prévue contre la politique du Monarque
surpuissant : les deux millions de marcheurs qui protestèrent étaient
solidement tenus par les syndicats, il n’y eut pas de drame, pas d’incident,
aucun débordement. Le Prince, qui mangeait au même moment du fromage blanc dans
son salon, eut cette moquerie contre les manants : « Ils manifestent
contre quoi, hein ? Contre la crise mondiale ? Y peuvent marcher
longtemps ! » Cependant on aperçut dans ce flot des pantins et des
masques de carnaval aux effigies de Leurs Majestés, parce que la confiance en
elles s’était envolée, parce que le mépris ou le dégoût s’étaient emparés de
chacun et que les frustrations s’accumulaient. Cent revendications formaient
une chorale mais point une force, tant pis, les étudiants criaient à l’unisson
avec les routiers, les paysans, les cheminots, les employés, les professeurs,
les retraités, les fonctionnaires, les chercheurs, les infirmières, les ouvriers,
les chômeurs, les menacés, les jeunes, les vieux, les artistes et même des
policiers écœurés comme celui qui avait ramené à l’aéroport de Marseille l’un
de ses anciens confrères algérien : s’étant vu refuser le droit d’asile, l’homme
dut rentrer dans son pays où il fut tué le lendemain.
     
    Selon une coutume très établie, les impératrices devaient s’occuper
de charité, ce qui n’était pas le point fort de Madame. Elle se rendit quand
même au Burkina Faso dans un Falcon 900 du gouvernement, avec trois officiers
de sécurité et une brochette de gazetiers dont l’un devait réaliser un long
documentaire à sa gloire. Dans l’aéronef, elle parla peu du sida, pour quoi
elle allait en Afrique, et se montra frivole comme elle pouvait l’être :
« C’est la Crise, dit-elle dans un soupir, mais il y a un monde fou dans
les magasins… » Il fallut trouver un autre rôle à Madame afin qu’elle y
fût mieux à son aise. On savait qu’elle était à la Gauche ce que les lentilles
étaient au caviar, mais à se frotter aux milieux artistiques elle y avait noué
des relations. Elle devait rassurer autant qu’enjôler. Le monde de la pensée et
des arts se situait en nombre aux côtés de la Gauche et il convenait de rallier
des individus voyants, des emblèmes, pour que le Prince ainsi entouré se sentît
plus fort, lui dont on moquait l’ignorance. Des intellectuels réputés de Gauche
étaient déjà passés dans le camp d’en face et certains

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